Par Peter McInnis
La question de savoir ce qui constitue un discours civil ou un environnement de travail respectueux a longtemps fait l’objet d’une large interprétation. Il est toujours difficile de trouver un équilibre entre le respect des obligations légales en matière de lutte contre le harcèlement et la discrimination et la nécessité de défendre les libertés garanties par la Charte et la liberté académique.
Le personnel académique, les employées et employés et les étudiantes et étudiants ont indéniablement le droit de travailler sur un campus dépourvu de menaces physiques et d’agressions verbales graves au sens de la législation sur les droits de la personne. La question de savoir si l’on peut appliquer des définitions très subjectives de la « sécurité personnelle », des « comportements irrespectueux » ou du « décorum approprié » est douteuse.
Comme les universités et les collèges doivent rester des lieux d’engagement intellectuel rigoureux et de vastes débats, le risque d’élaborer des politiques erronées est amplifié. C’est un axiome que, trop souvent, une politique défectueuse supplante des alternatives bien pensées et que, dans certains cas, aucune politique ne devrait être envisagée.
Des problèmes spécifiques concernant quelques individus peuvent conduire à l’imposition de mesures restrictives pour la majorité. Une politique va même jusqu’à inclure le fait de « s’habiller professionnellement » dans une liste d’exigences en matière de décorum.
L’imposition procédurale de la civilité et du respect s’étend aux interactions numériques sur les médias sociaux. Le recours du personnel académique aux libertés académiques intra et extra-muros est soumis à un examen minutieux dans le cadre de ces directives politiques, y compris les sanctions disciplinaires pour les personnes qui enfreignent les codes de conduite. Ce dépassement évident empiète sur les pratiques professionnelles protégées avec assiduité dans le monde universitaire.
L’éducation postsecondaire étant de plus en plus tributaire des caprices des directives fédérales et provinciales et du financement par la philanthropie privée et les entreprises donatrices, les tendances réflexes à l’aversion pour le risque s’accentuent. L’arrière-pensée des politiques de civilité ou de respect peut être de protéger les réputations des établissements ou les marques de marketing plutôt que de défendre les valeurs fondamentales des libertés d’expression.
Les politiques qui proposent des conceptions subjectives du comportement peuvent avoir des conséquences profondes sur nos conditions de travail et d’apprentissage. L’Avis de l’ACPPU concernant les politiques de respect en milieu de travail analyse les efforts déployés pour restreindre les libertés d’expression afin de se conformer aux énoncés de mission des établissements et aux sensibilités contemporaines. Il est conseillé aux associations de personnel académique de ne pas insérer dans les conventions collectives des termes relatifs au respect en milieu de travail ou à la civilité, car cela impliquerait l’acceptation de ces politiques et exposerait leurs membres aux sanctions disciplinaires qu’elles prévoient.
L’avis souligne que : « À première vue, ces politiques peuvent sembler anodines. Après tout, personne ne remet en cause l’instauration d’un dialogue et d’un débat civils comme objectif à atteindre. Dans les interactions quotidiennes, il n’est pas rare d’entendre des collègues souhaiter davantage de courtoisie. Mais passer de l’exhortation à la règlementation met en péril les valeurs fondamentales que sont la liberté académique et la liberté d’expression. »
Cette observation reste valable, car l’extension des politiques mal définies, qui confondent la civilité avec les exigences légales, cherche à regrouper maladroitement des éléments disparates dans des directives qui sapent les principes acceptés de l’éducation postsecondaire. Le résultat sera sans aucun doute l’autocensure des personnes qui, au sein de la communauté universitaire, souhaitent participer à un échange significatif d’idées ou à des actions de solidarité.
Les services de ressources humaines se sont empressés d’élargir les directives existantes en matière de harcèlement et de civilité. Les récentes manifestations d’étudiantes et étudiants et de personnel académique contre les crises humanitaires internationales ont donné lieu à un amalgame entre la dissidence pacifique et l’incivilité. Cet amalgame est profondément problématique.
Des applications trop larges de la civilité et du respect ont été associées à des manifestations sur les campus. Les administrations ont l’intention de réaffirmer leur contrôle non seulement sur les limites physiques de l’enceinte de l’établissement en tant que propriété privée, mais aussi sur la conduite de la communauté universitaire.
Un projet de politique flagrant définit cette dissidence comme un rassemblement public d’une personne ou d’un groupe de personnes pour exprimer un sentiment par des moyens explicites, y compris, mais sans s’y limiter, le piquetage, la marche, le port de pancartes, la distribution de documents écrits et d’autres activités connexes, généralement en faveur d’une action ou d’une opinion ou pour s’y opposer.
L’avis de l’ACPPU conclut : « Élever la politesse en principe régulateur de la vie universitaire, applicable par la force exécutoire de sanctions et justifié par les interventions purement subjectives des plaignants, constitue une menace fondamentale à la liberté académique. » À cet égard, nous devrions tirer les leçons de nos erreurs passées, refuser d’obéir à l’avance et agir pour défendre les libertés d’expression en tant que valeurs fondamentales de l’éducation postsecondaire canadienne.