Par Peter McInnis
Depuis un certain temps, nous observons une situation inquiétante en ce qui concerne le recrutement et la rétention d’administratrices et d’administrateurs compétents en enseignement postsecondaire au Canada. Des annonces audacieuses apparaissent sur les sites web des universités et des collèges, vantant les mérites de cadres supérieurs nouvellement embauchés. Nous sommes dûment informés qu’ils et elles apporteront des concepts audacieux et novateurs sur nos campus, qu’ils et elles assureront une liaison efficace avec les gouvernements, qu’ils et elles susciteront des dons philanthropiques, qu’ils et elles augmenteront l’effectif étudiant, voire qu’ils et elles « alimenteront » et « enflammeront » la réputation des établissements.
Dans plusieurs des cas, le résultat est plus un acte d’auto-immolation bureaucratique qu’une démonstration de leadership.
La nomination de cadres supérieurs peut générer une réorientation souhaitable et une stabilité au sein de la direction, et bon nombre de celles et ceux qui exercent ces fonctions sont sincères dans leur engagement. Il arrive aussi que des nominations apparemment judicieuses pour un établissement se révèlent mal avisées ou contre-productives. Ces nominations inconvenantes peuvent donner lieu à des scandales, qu’il s’agisse de fausses revendications d’identité autochtone, de qualifications académiques douteuses ou d’inaptitude à la gestion.
Le recours à des agences privées à but lucratif de recrutement de cadres est devenu la norme dans les universités et collèges canadiens. Ces firmes vantent leur « connaissance approfondie » de l’enseignement postsecondaire, mais font souvent preuve d’une conception superficielle et antidémocratique de notre environnement de recherche et d’apprentissage. Il s’agit d’un processus fondé sur le mépris des principes de collégialité.
Les firmes de recrutement de cadres manipulent le processus d’embauche, car elles offrent souvent des conseils détaillés pour les dossiers de candidature et un accompagnement personnalisé préalable aux entretiens afin que les candidats et candidates puissent se présenter de façon optimale. Peut-être est-ce la raison pour laquelle certains de ces placements facilités par des agences ne tiennent pas leurs promesses initiales?
Ce processus de recrutement ne se fait souvent que dans le secret, et les critères de sélection des candidats et candidates sont obscurs. La raison douteuse invoquée est que la plus grande confidentialité est nécessaire pour trouver les meilleurs candidats et candidates.
Cette situation entraîne une nouvelle promotion d’administrateurs et d’administratrices carriéristes dont la loyauté ne va pas à leur établissement, mais plutôt à leur avancement personnel. Les démissions à mi-parcours pour obtenir des postes plus favorables sont monnaie courante. Nous avons donc vu des administrateurs et des administratrices passer d’un campus à l’autre, traînant avec eux et elles leur réputation ternie.
La gouvernance collégiale, principe fondamental de l’enseignement supérieur, est mise à mal par ce processus corporatiste. Le corps enseignant, le personnel et le milieu étudiant n’ont que peu, voire pas du tout, l’occasion de s’entretenir avec les personnes susceptibles d’être nommées. Si un comité de sélection est constitué, ses compétences peuvent être limitées à l’acceptation d’une liste de candidatures présélectionnées. Cette réplique de l’engagement participatif peut conduire à des problèmes ultérieurs. Souvent, les nouvelles nominations administratives sont simplement présentées à leur établissement respectif, et c’est une affaire conclue.
Cette normalisation d’une gouvernance collégiale réduite est une innovation relativement récente, aussi malvenue qu’inefficace. Dans le passé, les postes de cadres supérieurs faisaient généralement l’objet de discussions ouvertes, où la présentation des candidatures était suivie de questions et de réponses. Des comités mixtes de sénats et de conseils d’administration étaient convoqués. Les entretiens d’embauche officiels donnaient lieu à des réunions informelles avec les professeures et les professeurs intéressés. Ce processus permettait une participation engagée et informée, aboutissant à une décision finale largement acceptée.
Le manque de transparence actuel et les ordres du jour étroitement contrôlés sont cohérents avec la crise générale de la gouvernance dans de nombreux collèges et universités. La consultation substantielle de la communauté du campus est remplacée par un processus décisionnel descendant. Les informations nécessaires pour faire des choix éclairés sont retenues ou distribuées à la dernière minute avant les réunions cruciales des sénats ou des conseils de faculté.
Les cadres supérieurs qui ont été recrutés dans le cadre d’un processus secret de sélection peuvent n’avoir aucun scrupule à maintenir une façon de faire aussi arbitraire. Ce rétrécissement de la gouvernance s’accompagne souvent d’un subtil changement de vocabulaire, la correspondance du campus désignant les professeures et professeurs comme des « employés », ce qui implique une diminution de leur statut professionnel en ce qui concerne la liberté académique.
Il n’est pas trop tard pour inverser cette tendance pernicieuse. Le corps enseignant, le personnel et la population étudiante doivent transcender leur rôle de « partie prenante » subordonnée que l’on consulte sommairement dans des conditions imposées, et exiger au contraire un modèle solide d’inclusion participative. Faire appel à des firmes de recrutement de cadres n’est ni inévitable ni irréversible. Les récentes conventions collectives ont permis de réintégrer le corps enseignant dans le processus de recrutement de manière significative. Il faudra se mobiliser et s’impliquer pour opérer un tel changement de direction, car le pouvoir administratif, une fois détourné, ne sera pas facilement redistribué.
Nos universités et nos collèges sont des entités complexes. Les pressions internes et externes à gérer pour répondre à une large gamme de demandes sont indéniablement un défi. Ce n’est pas un travail que la plupart des gens peuvent accomplir efficacement. La nécessité de disposer d’administratrices et d’administrateurs efficaces est évidente, mais il importe également que les nominations à ces postes suivent un processus aussi transparent et inclusif que possible, dans le respect des véritables objectifs de l’enseignement supérieur, afin d’approfondir un large éventail de connaissances et de soutenir une citoyenneté engagée.