Sarah Laframboise est directrice générale de l’organisation communautaire Evidence for Democracy (E4D), qui milite en faveur de décisions politiques fondées sur des données probantes. Elle a été la première directrice générale de l’organisation Soutenez notre science. Mme Laframboise prépare un doctorat en biochimie à l’Université d’Ottawa.
Pourquoi faites-vous pression pour que le gouvernement fédéral accorde un meilleur financement aux chercheuses et chercheurs en début de carrière?
En tant qu’étudiante de première génération, j’ai dû assumer moi-même le financement de mes 11 années d’études. J’ai occupé plus de 15 emplois au fil des ans. J’ai contracté une dette d’études de 100 000 $. Je ne peux m’empêcher de me demander si c’est le prix à payer pour obtenir un doctorat.
Lorsque j’ai commencé à m’impliquer dans mon association étudiante, j’ai entendu des histoires comparables de la part de mes pairs. J’ai commencé à militer pour faire augmenter les allocations des étudiantes et étudiants de cycle supérieur au sein de ma faculté. Grâce à ce travail, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui partageaient mes idées et soutenaient cette cause. Nous sommes devenus le mouvement Soutenez notre science.
Les salaires des étudiantes et étudiants de cycles supérieurs et postdoctoraux sont restés inchangés depuis plus de 20 ans. Cela s’explique par le fait que la rémunération en recherche est très nuancée, car les chercheuses et chercheurs dépendent de plusieurs types de financement. Étant donné que les sources de financement dépassent souvent les frontières entre les facultés et les universités, les gouvernements provinciaux et fédéral, ainsi que l’industrie et les organisations non gouvernementales, les bourses fédérales directes sont devenues la « norme » en matière de salaire.
Deux choses doivent se produire à l’unisson pour permettre un changement systémique. Si le nombre de bourses directes et leur valeur doivent augmenter, le financement indirect provenant des subventions accordées par l’intermédiaire des Trois conseils doit également s’accroître. Ainsi, les provinces, les universités, les facultés et les départements pourront également agir.
L’année dernière, vous avez organisé un débrayage national réunissant la communauté de la recherche et des sympathisants et sympathisantes de la cause. Quelles leçons en avez-vous tirées?
L’organisation d’un débrayage à l’échelle nationale avec des ressources minimales a été incroyablement difficile. Mais je suis très fière de la communauté Soutenez notre science qui s’est ralliée à ce projet. Le succès de ce débrayage s’explique par le pouvoir de la mobilisation communautaire.
La voix des étudiants et étudiantes des cycles supérieurs et postdoctoraux a été d’une grande importance dans ce mouvement. En témoignant de leur parcours avec vulnérabilité, ils et elles ont trouvé un écho profond auprès du public et des décisionnaires politiques.
Ce débrayage a mis en évidence l’unité et la solidarité au sein de la communauté scientifique. Il a prouvé que lorsque les scientifiques se rassemblent autour d’un objectif commun, leur voix collective devient une force de changement. Cette leçon m’a donné un nouveau souffle pour inciter la communauté scientifique à se mobiliser davantage.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être une scientifique?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu comprendre le monde qui m’entoure. Cette curiosité insatiable m’a poussée à étudier les mystères qui façonnent notre existence même, des subtilités microscopiques des cellules aux vastes complexités des écosystèmes.
Être une scientifique signifie faire partie de quelque chose de plus grand que moi. En tant que chercheuse fondamentale, il est facile de sousestimer les applications que nos recherches peuvent avoir sur la société. Pourtant, il est incroyable de penser que les recherches d’aujourd’hui pourraient être à l’origine des percées, des innovations ou des solutions de demain.
Il s’agit également d’exploiter les connaissances scientifiques actuelles pour relever des défis sociétaux, éclairer des décisions politiques et contribuer au progrès général de notre nation. En fait, c’est cette perspective qui m’a finalement attirée vers la politique scientifique. Je me suis rendue compte que j’aimais la science dans une si large mesure que je voulais la défendre en tant que système.
Comment envisagez-vous le rôle de la science et des données probantes dans le processus d’élaboration des politiques publiques?
La science et les données probantes jouent un rôle fondamental dans le processus d’élaboration des politiques publiques. À E4D, nous pensons que nous sommes toutes et tous gagnants lorsque les gouvernements prennent des décisions politiques en s’appuyant sur les meilleures données accessibles.
La science apporte un éclairage essentiel sur les complexités de notre monde, offrant un prisme à travers lequel les décisionnaires politiques peuvent gérer les défis auxquels nous sommes confrontés. Elle sert un double objectif : d’une part, en tant qu’outil essentiel pour élaborer des politiques bien informées et, d’autre part, en tant qu’outil de contrôle des personnes au pouvoir.
La transparence des données probantes joue également un rôle crucial à cet égard. Lorsque les gens ne peuvent pas comprendre comment ou pourquoi une décision gouvernementale a été prise, ils sont plus susceptibles de se déconnecter et moins susceptibles de faire preuve d’engagement civique.
Sur quelles initiatives travaillez-vous actuellement?
À E4D, nous continuons à mener des recherches originales, des campagnes thématiques et des activités de formation afin de placer les données probantes au cœur des politiques publiques. E4D a récemment lancé un guide essentiel afin de mobiliser les scientifiques en les incitant à participer au processus d’élaboration des politiques. Au printemps, nous lancerons la deuxième année de notre Programme accélérateur de la science à la politique, destiné aux chercheuses et chercheurs en début de carrière. Nous poursuivons également nos projets « Eyes of Evidence » avec la création d’un guide de transparence qui permettra aux décisionnaires de mettre en évidence les données probantes sur lesquelles s’appuient les politiques qu’ils et elles présentent au public. J’espère poursuivre mon travail de mobilisation en soutenant encore plus de champions de la science, et ce, dans toutes les instances gouvernementales, politiques et académiques.