par Brenda Austin-Smith
En novembre, l’University of Manitoba Faculty Association (UMFA) – mon association – a déclenché la grève pour une seconde fois en cinq ans. En cause étaient la décision du gouvernement provincial d’imposer un mandat salarial (pour une troisième fois en cinq ans) et le désir obsessif de l’Université de dicter le mode d’enseignement alors même que l’ingérence du gouvernement menaçait l’autonomie fondamentale de l’établissement. Que d’étranges priorités administratives!
Or, ce n’est pas de la grève, mais de son exécution que je veux m’entretenir aujourd’hui. Avant le 2 novembre, aucun de nous n’était descendu dans la rue pendant la pandémie. Durant la première année de la COVID-19, plusieurs associations dont les conventions avaient pris fin ont tout simplement choisi de proroger celles-ci, inquiètes des conséquences que pourraient avoir les mesures sanitaires sur les négociations collectives, voire les mesures de distanciation physique sur les rassemblements et les lignes de piquetage. Serait-il possible, par exemple, de chanter ou de scander des slogans en toute sécurité en portant le masque? La réalité des contraintes exercées par la COVID-19 a certainement testé l’imagination des membres de l’UMFA. Il en a résulté des mesures de grèves en ligne et en présentiel alliant créativité et savoirfaire dans la pure tradition du modèle de l’organisation syndicale.
Le modèle d’organisation approuvé par le Conseil de l’ACPPU privilégie les contacts personnels avec l’ensemble des membres de l’association, comme activité de mobilisation clé. Il encourage aussi les associations à faire appel aux communautés et aux groupes qui partagent les mêmes valeurs. Comme quantité d’associations, l’UMFA avait noué des relations avec d’autres syndicats, y compris des syndicats provinciaux affiliés, y compris en siégeant à des comités et en appuyant une variété de campagnes et de moyens de pression. Étant donné que le secteur public dans son ensemble est pris pour cible, ces relations ont donné un appui solide et profond aux préparatifs des négociations. En tant qu’enseignants et de conseillers, nous entretenions aussi des liens puissants avec des groupes d’étudiants de premier cycle et de cycles supérieurs, qui ont publié des déclarations de soutien, pris la parole durant nos rassemblements et organisé des séminaires en ligne. Nos messages étaient clairs, éloquents et percutants.
Notre campagne s’articulait autour des enjeux en milieu de travail de nos membres, qui ont participé de différentes façons, selon leur niveau de confort. Beaucoup ont suivi une formation de chef de ligne de piquetage ou ont organisé des réunions de pression « impromptues » dans des parcs locaux à l’automne, où ils ont rencontré d’autres membres de la même circonscription. D’autres se sont réunis (masqués) aux bureaux de députés provinciaux, ou ils ont pratiqué la distanciation physique devant les caméras, tandis que d’autres encore ont distribué des feuillets dans leur quartier ou fait du piquetage dans les rues, armés de pancartes tout en couleur conçues par les étudiants de l’école des arts de l’Université. Pour assurer la sécurité de tous lors des grands rassemblements, les membres ont défilé, chanté et dansé en petits groupes, par chef et ligne de piquetage, dans ce qui ressemblait à des cercles de piquetage synchronisés. Les chefs ont remis des brassards roses aux membres après vérification de leur statut vaccinal. Une énorme marionnette à deux visages – ceux du recteur de l’Université du Manitoba et de la première ministre de la province – a constamment volé la vedette, hissée au-dessus des têtes par des bibliothécaires, des professeurs d’arts et des étudiants. Des beignes, du café, des pizzas, des viandes grillées et des samosas ont été livrés aux grévistes, qui chantaient au rythme du ukulélé.
Durant la grève, la pandémie nous a obligés à utiliser les médias sociaux plus efficacement que jamais auparavant. La publication et l’échange d’information en ligne ont facilité la communication et donné une plus grande visibilité à nos moyens de pression en présentiel, en plus d’offrir un théâtre à l’humour et à l’irrévérence. Des piquets ont été érigés en ligne pour les personnes préférant des actions virtuelles, ce qui a favorisé l’inclusion. Les piqueteurs virtuels ont téléphoné à des députés provinciaux, rédigé des lettres et publié des blogues. Certaines personnes ont organisé des bombardements téléphoniques, tandis que d’autres ont filmé les rassemblements pour les diffuser en ligne et en publier des clips dans différentes plateformes. Nous avons aussi publié des clips de consultations budgétaires menées partout dans la province. Des membres de l’UMFA ont participé par téléphone à des assemblées publiques virtuelles, ou se sont rendus à Pinawa pour intervenir et demander aux députés provinciaux de rendre des comptes.
Et puis les mèmes sont apparus. Les participants au Conseil de l’ACPPU de novembre se souviendront peut-être de l’excellent jeu de mèmes employé par l’UMFA et le groupe Students Supporting UMFA dans le cadre de leur combat. Des images humoristiques et animations GIF s’attaquant aux messages de l’administration de l’Université se sont répandues sur Twitter et Facebook. Le prix des meilleures animations revient sans nul doute au compte Instagram de grève de l’UMFA, qui publiait des versions trafiquées des vidéos promotionnelles du campus de l’Université mettant en scène le « jam cat » et des parodies de chansons connues composées par le personnel enseignant de l’école de musique de l’Université. La plus percutante de ces animations montrait le nouveau logo de l’Université au moment où le bison quittait la scène en raison de ses conditions et son salaire lamentables : « Je serai dans les plaines si quelqu’un me cherche », lançait la mascotte en partant.
Nos moyens de pression sont souvent l’expression de notre colère légitime envers les menaces pesant sur la recherche, l’enseignement et les services. Les grèves occasionnent du stress et sont difficiles à supporter. Les rapports qui se tissent sur la ligne de piquetage — qu’elle soit virtuelle ou physique — en sont les bénéfices premiers, quels que soient les gains effectués. La grève de l’UMFA aura réussi à jumeler la colère nécessaire à la créativité et à la joie, pour nous rappeler que le rire amène aussi à la solidarité.