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Reportage spécial / La pandémie souligne l’importance des ressources éducatives libres et de l'édition en libre accès

Reportage spécial / La pandémie souligne l’importance des ressources éducatives libres et de l'édition en libre accès

[iStock.com / Bet_Noire]

Au début du printemps, les responsables du Centre for Humanities Studies de l'Université d’Athabasca ont appris qu’un cours de premier cycle, un cours d’initiation à la musique parmi les plus fréquentés, avait soudainement perdu accès à un ensemble essentiel de matériel didactique — une banque d'échantillons d’œuvres musicales. L'éditeur a retiré l'autorisation de reproduire le matériel pour le cours de 150 étudiants et a informé le département qu’il devait demander l'autorisation à chaque titulaire d’une œuvre musicale s’il voulait continuer à l’utiliser.

Selon Mark McCutcheon, professeur d'études littéraires et directeur du département, cette démarche aurait pris jusqu'à un an, ce qui aurait obligé à annuler le cours. La solution de rechange : le personnel enseignant a trouvé des liens vers des centaines d'enregistrements en ligne accessibles au public et a créé ce qui était essentiellement une liste de lecture pour les étudiants. « Nous n'hébergeons plus les clips », dit-il, ajoutant que le « transfert rapide » du Centre vers la création d'une ressource éducative libre (REL) a permis à l’Université d’Athabasca de continuer à offrir le cours. « Nous aimons penser que nous avons su nous adapter », déclare M. McCutcheon.

En tant qu'université d’enseignement à distance, l’Université d’Athabasca occupe depuis longtemps un espace dans lequel tous les établissements postsecondaires du Canada ont dû apprendre à naviguer depuis le début de la pandémie. « Pour l'Université d’Athabasca, le contexte de l’enseignement à distance est normal », explique M. McCutcheon. Or, pour des milliers de membres du personnel académique d'autres établissements et des millions d'étudiants, ce changement a non seulement posé des défis inhabituels en matière d'accès au matériel et d'apprentissage en ligne, mais a également amplifié des débats plus anciens sur les REL et l'édition en libre accès. Comme le dit Hope Power, enseignante-bibliothécaire à l'Université Simon Fraser : « [La pandémie] a montré à quel point le débat sur l’accessibilité est urgent. »

Les défenseurs de l’édition en libre accès et un nombre croissant de périodiques soutiennent depuis longtemps que l’accès aux activités savantes universitaires, surtout lorsqu'elles sont financées par des fonds publics, ne devrait pas être payant. Les partisans des REL, quant à eux, ont pressé les universités et les collèges, le personnel académique et les gouvernements provinciaux de promouvoir la création de matériel d'apprentissage en ligne gratuit qui utilise du contenu qui n'est pas soumis à des droits d'auteur et qui est accessible par le biais de licences Creative Commons, y compris les articles de périodiques en libre accès.

Selon Hailey Babb, responsable du projet d'éducation ouverte chez SPARC, une coalition des principales bibliothèques de recherche d'Amérique du Nord, l’une des raisons principales est de fournir des solutions de rechange aux manuels scolaires coûteux qui peuvent représenter une charge financière importante pour les étudiants. Pendant la pandémie, alors que de nombreux étudiants ont perdu leur emploi à temps partiel, ajoute-t-elle, l'accès aux REL est devenu crucial.

Dans un billet de blogue largement diffusé, la bibliothèque de l'Université de Guelph a dénoncé l'an dernier plusieurs grands éditeurs de manuels scolaires et universitaires, dont Pearson, Elsevier et la division canadienne d'Oxford University Press, de ne pas avoir accordé de licence pour les versions électroniques de leurs manuels aux établissements postsecondaires de prêt.

La plupart de ces documents n'étant disponibles qu'en version imprimée à des fins de prêt, et les bibliothèques étant fermées en raison de la COVID, les étudiants et le personnel académique n'avaient guère d'autre choix que de souscrire à des abonnements coûteux à des manuels et livres électroniques, dont beaucoup sont désormais accompagnés d'incitatifs supplémentaires pour le personnel universitaire débordé, tels que des présentations de diapositives prêtes à utiliser, des devoirs et des outils d'évaluation, explique Ali Versluis, bibliothécaire responsable des ressources éducatives libres à l'Université de Guelph. Les éditeurs, ajoute-t-elle, « exploitent le fait que les professeurs n'ont pas beaucoup de temps ou d'autonomie pour choisir les textes ».

D'autres critiques se sont exprimées. « Le travail n’est pas fini », a récemment déclaré l’Association des bibliothèques de recherche du Canada dans un communiqué, qui réaffirme l'importance de veiller à ce que les bibliothèques universitaires et collégiales puissent bénéficier de licences permettant un accès aux manuels et livres électroniques. « L'apprentissage en ligne nécessite des modèles d'accès numérique qui favorisent un environnement accessible, abordable et inclusif pour les étudiants. »

Au cours des dernières années, les gouvernements provinciaux ont financé quantité d’organisations, y compris BCcampus et eCampus Ontario, afin d’appuyer la création de REL sur plateformes logicielles et d’autres ressources à l’intention du personnel académique. Déjà en 2012, le gouvernement de la Colombie-Britannique répertoriait les 20 cours de la province comptant le plus d’inscriptions et décidait de créer pour chacun des textes en libre accès au moyen d’une subvention d’un million de dollars, selon Brenda Smith, bibliothécaire en éducation ouverte à l’Université Thompson Rivers. Au campus de l’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique, une subvention octroyée par BCcampus en vue de l’intégration de l’éducation ouverte et des fonds du bureau du recteur ont servi à financer un programme pilote de subventions pour la création de REL, selon Donna Langille, bibliothécaire chargée de la mobilisation communautaire et de l’éducation ouverte au campus de l’Okanagan. En 2021, le programme de subventions du campus a offert un financement d’au plus 5 000 $ annuellement à neuf projets de REL en vue de la création ou de l’adaptation de REL. Ces fonds servent parfois à embaucher des étudiants chargés des projets de REL. Comme l’indique Hope Power, l’Université Simon Fraser a appuyé plus de 40 projets du genre dans presque toutes les facultés, sauf l’administration des affaires.

« La Colombie-Britannique et l'Ontario sont les véritables chefs de file », affirme Michael McNally, professeur agrégé à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l'Université de l'Alberta. Dans les autres provinces, ajoute-t-il, le financement a été plus aléatoire.

Certains établissements, comme l'Université de Regina, ont mis sur pied des initiatives visant à fournir des manuels sans frais supplémentaires. Et un nombre croissant d'universités s'engagent à soutenir le personnel académique qui souhaite créer ses propres REL — une tendance amorcée avant la pandémie, mais qui est devenue plus urgente au cours de la dernière année. Dans certains cas, explique M. McNally, cela implique de financer des étudiants aux études supérieures pour faciliter la recherche de contenu en libre accès. Les bibliothécaires ou les bureaux des droits d'auteur, à leur tour, fournissent des ressources pour aider à créer des REL. Par exemple, l'Université de l'Alberta a soutenu la production d'une série de vidéos en ligne décrivant les questions de droit d'auteur et de propriété intellectuelle qui se posent lors de l'élaboration de REL. « Ce travail peut être très compliqué, mais les bibliothécaires sont heureux d'aider », affirme Kate Cushon, bibliothécaire à l'Université de Regina, qui préside le Comité des bibliothécaires et des archivistes de l'ACPPU.

Au cours des trois années qu'elle a passées à son poste actuel, Mme Versluis a consacré plus de temps à aider les professeurs à développer des REL, ce qui implique de naviguer sur des plateformes d’édition ouverte, de trouver du contenu et, en général, de faire passer le message. « Je dirais que les gens connaissaient beaucoup moins cette réalité il y a deux ans. » Pourtant, ajoute-t-elle, certains membres du personnel universitaire ont une aversion pour le risque et entretiennent des idées préconçues sur la qualité inférieure des REL par rapport aux manuels.

Ces impressions sont toutefois en train de changer, en particulier dans des disciplines comme le commerce et certaines disciplines scientifiques, qui ont vu proliférer les manuels sous forme de REL et les périodiques en libre accès. Selon Mme Cushon, cette dynamique a tendance à s'auto-perpétuer. « Une fois que des REL de haute qualité sont disponibles, d'autres personnes sont susceptibles de les adopter. » Mme Smith est d'accord et a vu des professeurs qui étaient autrefois farouchement opposés à l’utilisation de matériel d'apprentissage en libre accès, qui comprend de plus en plus le type de ressources supplémentaires — banques de tests, jeux de diapositives, etc. — que les éditeurs de manuels utilisaient comme appât pour leurs textes électroniques sous licence. « Si les gens voient d'autres personnes utiliser [les REL], la pratique devient normale. »

D'une certaine manière, l'histoire des REL, avant et pendant la pandémie, a autant porté sur la sensibilisation que sur la disponibilité du contenu, des logiciels tiers et des conseils techniques. Comme le libre accès, les REL ont tendance à attirer des défenseurs très engagés, mais de nombreux membres du personnel universitaire peuvent encore considérer ces questions comme un autre soubresaut du monde ésotérique de la propriété intellectuelle. « Ce sujet peut être difficile à vendre, déclare M. McCutcheon. Le droit d'auteur n’attire pas nécessairement l'attention. » Il y a aussi le problème d’amener le cheval à l'eau. Comme l'indique un article paru récemment dans Inside Higher Education, la proportion de professeurs américains qui connaissent les REL a continué à augmenter régulièrement ces dernières années, mais le nombre de ceux qui ont demandé des REL dans leurs cours a stagné pendant la pandémie.

Certains défenseurs, ainsi qu'une poignée d'institutions, ont cherché à intégrer l'utilisation des REL et de l'édition en libre accès dans les dispositions de conventions collectives, dans le but d'inciter les professeurs occupant un poste menant à la permanence à utiliser ce matériel et à publier sous des licences Creative Commons. « Il faut que cela soit inscrit dans le cadre de la permanence et de la promotion, déclare Mme Versluis. Si cette utilisation n'est pas valorisée dans le système, et si l’évaluation des professeurs n’en tient pas compte, ils ne l’utiliseront pas. »

Mme Cushon est d'accord, et note que les associations de personnel académique ont un rôle à jouer pour promouvoir les deux dans les négociations avec les universités. Mais, ajoute-t-elle, des problèmes de liberté académique se posent lorsque certains professeurs rechignent à utiliser ce type de matériel pédagogique ou à publier dans des périodiques qui peuvent être en libre accès, mais n'ont pas le prestige des publications payantes. « Autant j’encourage l'ouverture, déclare Mme Smith, autant je ne pense pas qu'elle doive être dictée. »

L’organisation SPARC soutient que les défenseurs des REL et de l’édition en libre accès doivent également faire passer des messages essentiels — notamment sur l'accessibilité, l'équité et l'allègement du fardeau financier des étudiants — aux administrateurs et au personnel universitaire afin d'accroître la sensibilisation à l’égard de ces ressources et leur intégration. « D'après mon expérience, affirme Mme Babb, ancienne militante à l’association étudiante de l'Université de la Colombie-Britannique, les universités réagissent mieux lorsqu'elles voient des données sur leurs propres institutions. »

Si l'avenir des REL après la pandémie n'est pas encore totalement établi, il ne fait aucun doute que le personnel universitaire a appris tout au long de l’année les défis et les opportunités de l’enseignement à distance, et le fait que chacun compte de plus en plus sur les documents en ligne. La pandémie, observe Mme Versluis, « a révélé que de nombreux professeurs avaient peu ou pas de connaissances sur les aspects politiques et économiques de l'édition ». Ce qui n’est plus le cas.

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