
Par Jennifer Davis
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les professeurs des universités au Canada cherchent des moyens de continuer à faire de la recherche de haute qualité et de s'adapter à l'enseignement en ligne. L'incertitude quant à quoi ressemblera la nouvelle normalité, et les restrictions qu'elle impose, soulignent l'importance de disposer de données pour éclairer les interventions des universités.
Pour de nombreux professeurs d'université, les nouvelles directives liées à la pandémie ont entraîné une perte immédiate de l'accès aux installations de recherche, aux participants à la recherche, aux partenaires communautaires, aux déplacements liés à la recherche, au personnel ou à l'équipement. Ces changements sont survenus dans un milieu où les ressources sont limitées et restreintes, ce qui a des répercussions sur la santé au travail du corps professoral, comme un stress élevé.
Avec des collègues, j'ai mené une enquête à l'échelle nationale visant à comprendre les effets généraux de la pandémie de COVID-19 sur la santé, les liens sociaux, le bien-être et les activités de recherche des professeurs permanents et des professeurs occupant un poste menant à la permanence dans les universités publiques canadiennes.
Une des premières choses véhiculées au sujet de la pandémie de COVID-19 était qu'elle touchait tout le monde, faisant abstraction du statut social, du statut ethnique, du sexe biologique ou de l'identité de genre.
Or, notre étude a révélé que la pandémie de COVID-19 a eu un impact différent sur la santé, le bien-être et les activités de recherche des professeurs employés par les universités canadiennes publiques. Notre recherche a révélé que la pandémie a eu un effet négatif disproportionné sur les femmes et les professeurs racialisés. Nous pensons que les universités devraient de toute urgence prendre des mesures pour s'assurer que ces membres du corps professoral ne sont pas injustement désavantagés dans leur progression de carrière.
Répondants provenant de toutes les provinces
Nous avons recruté les participants à l'enquête par le biais de courriels adressés directement aux universités publiques canadiennes et par un échantillonnage en boule de neige à l'aide de médias sociaux tels que Twitter. Six cent quatre-vingt-seize professeurs ont répondu à l'enquête. Cinquante-deux pour cent des participants ont identifié leur sexe biologique comme étant féminin, 45 % comme étant masculin et 3 % ont déclaré : « préfère ne pas dire / autre ». Quinze pour cent (105 personnes) ont déclaré appartenir à une minorité raciale. Toutes les provinces du Canada étaient représentées dans l'enquête.
L'âge moyen des participants était de 48 ans et 58 % étaient mariés. Dix pour cent des répondants occupaient des postes de direction. Quatre-vingt-dix pour cent étaient des professeurs : adjoints (29 %), agrégés (31 %) ou titulaires (30 %).
Nous avons demandé aux professeurs de classer les changements de leurs activités physiques pendant la pandémie comme suit : diminution, aucun changement ou augmentation. Près de la moitié (47 %) ont signalé une diminution de leurs activités physiques. De même, 56 % se sont sentis soutenus socialement et 50 % se sont sentis soutenus dans leur santé et leur bien-être.
Nous avons effectué des analyses statistiques comparant les hommes et les femmes ainsi que les personnes racialisées et non racialisées. Un nombre nettement plus faible de femmes se sont senties soutenues sur le plan de la santé et du bien-être par leur université. Les femmes et les professeurs racialisés ont signalé des niveaux plus élevés de stress et d'isolement social, ainsi qu'un niveau plus faible de bien-être.
Productivité accrue chez les hommes
La majorité des professeurs (79 %) ont signalé que l'équilibre entre les exigences habituelles de leur travail et celles en dehors du travail a été perturbé en raison de la pandémie.
Nous avons demandé aux professeurs comment la pandémie avait affecté leur productivité de recherche en indiquant soit une diminution, aucun changement ou une augmentation. Environ la moitié (53 %) des professeurs ont signalé une baisse de leur productivité de recherche, et une plus grande proportion (64 %) de professeurs racialisés ont signalé une baisse de leur productivité de recherche.
La plupart (73,3 %) des professeurs qui ont déclaré une productivité accrue pendant la pandémie étaient des hommes.
Ces données indiquent que les femmes et les personnes racialisées ont été touchées de façon disproportionnée par la pandémie. Les femmes et les personnes racialisées ont subi une plus grande proportion d'impacts négatifs sur leur santé, leur bien-être et leurs activités de recherche, et une baisse de productivité.
Différences sur le plan du financement et de la responsabilité des soins
L’enquête a également constaté des différences entre les sexes en ce qui concerne le financement de la recherche et la responsabilité des soins à la maison. Plus précisément, 71 à 75 % des femmes, contre 25 à 29 % des hommes, ont signalé un accès limité au financement externe ou interne. Soixante-huit pour cent des femmes, contre 32 % des hommes, ont déclaré avoir des difficultés à s'occuper de leur famille.
Certains membres du corps professoral ont mentionné éprouver une grande fatigue, un épuisement professionnel et un fardeau important associé à la responsabilité des soins : « Je suis épuisée émotionnellement, physiquement et mentalement à essayer de maintenir le même niveau de productivité, tout en m'occupant de deux garçons du primaire et en leur faisant l’école ... et en étant monoparentale. »
Nos données font ressortir à quel point il est urgent que le corps professoral, les dirigeants des universités et les gouvernements prennent des mesures d’équité. Les mesures visant à corriger les iniquités exigent une représentation équitable à tous les niveaux de la communauté universitaire afin de fournir un soutien supplémentaire à l'infrastructure et à la capacité de recherche du corps professoral.
Recommandations aux universités
Nous recommandons une collaboration entre les RH, les associations de personnel académique et les professeurs à tous les stades de leur carrière. Ils pourraient travailler ensemble à la création d'une base de données qui serait mise à jour en temps réel afin d'évaluer et de surveiller les effets continus de la pandémie sur les professeurs qui font de la recherche.
L'idée serait que les universités canadiennes recueillent des données longitudinales sur leur corps professoral concernant les effets de la COVID-19 sur les activités de recherche, la progression de la carrière, la santé et le bien-être. Cette base de données pourrait servir d'outil de suivi pour améliorer les domaines dépourvus de soutien. En retour, ces données pourraient permettre aux universités d'évaluer et d'affiner leurs politiques et leurs mesures de soutien.
Nous recommandons aux universités de prêter attention aux questions de justice et d'équité relatives à la progression de la carrière des professeurs et de garder à l'esprit les effets de la pandémie. Les professeurs souffrent moins d'épuisement professionnel lorsque les processus d'évaluation de leur rendement sont perçus comme étant équitables.
Les évaluations annuelles ainsi que les processus de titularisation et de promotion devront peut-être être ajustés pour tenir compte de la perte de productivité. Ces ajustements ne seront sans doute pas aussi simples que de prolonger le délai menant à la permanence des jeunes professeurs. Les universités devront peut-être envisager de nouveaux cadres d'évaluation.
Nous recommandons aux universités d'adopter une approche active pour optimiser les conditions de travail en soutenant la santé et le bien-être du corps professoral. Ainsi, les services des RH pourraient superviser un suivi confidentiel régulier de la santé et du bien-être au moyen de sondages en ligne sur une base trimestrielle, les réponses étant rendues anonymes. Les RH pourraient identifier les personnes qui ne vont pas bien et leur offrir l’accès à une aide appropriée.
Dans les universités, le soutien à la santé mentale et au bien-être des personnes nécessite une approche individualisée. Une approche « universelle » sera probablement insuffisante au sein des universités. Par conséquent, nous suggérons que chaque université envisage d’adopter une approche multidisciplinaire pour répondre de manière équitable aux besoins de tous les employés.
Cette approche pourrait inclure des professionnels dévoués qui sont équipés pour fournir des stratégies d'intervention individualisées pouvant inclure du counselling, des références à des professionnels de la santé, l'établissement d'objectifs personnels et du coaching en santé.
Ensemble, grâce à une prise de décision proactive, fondée sur des données probantes, et à une collaboration active, les universités ont la possibilité de s'assurer que la progression de carrière des membres du corps professoral est équitable.
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Jennifer Davis est une chercheuse universitaire de la Michael Smith Foundation for Health Research. Eric Li, Gino DiLabio, Mary Butterfield, Barbara Marcolin et Nithi Sangunthunam ont collaboré à cette recherche.
Cette chronique est parue le 2 mars 2021 dans The Conversation.