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Tribune libre / Mettre fin aux propos haineux et violents contre les chercheurs en sciences sociales

Tribune libre / Mettre fin aux propos haineux et violents contre les chercheurs en sciences sociales

Judicieux / Wikimedia Commons

Ceci est un appel lancé par 103 professeurs en sciences sociales de l’Université Laval et adressé directement aux bureaux respectifs d’Hélène David, ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, de Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique du Québec, de Rémi Quirion, président du Fonds de recherche du Québec — Société et culture, de Ted Hewitt, président du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, et de Paule Beaugrand-Champagne, présidente du Conseil de presse du Québec.

Nous, professeures et professeurs en sciences sociales de l’Université Laval, ainsi que des collègues d’autres facultés de notre institution de recherche et d’enseignement supérieur, lançons cet appel pour condamner fermement les propos haineux et violents tenus à l’encontre des chercheurs en sciences sociales.

Depuis quelques années en effet, et de façon plus récurrente en 2016-2017, certains chroniqueurs et leurs lecteurs et auditeurs s’évertuent à émettre des propos haineux et des violences verbales peu subtiles aux chercheurs universitaires qui, en prenant la parole dans l’espace public québécois, assument leur responsabilité sociale en éclairant scienti­fiquement des enjeux sociaux sensibles tels que la misogynie et l’homophobie, et des tensions liées à l’immigration et à la religion, ou encore le racisme, l’islamophobie et autres formes de radicalisations violentes ou menant à la violence.

Les plus récents propos du genre, difficiles à distinguer de menaces à la vie et à la sécurité, ont été adressés par un citoyen à un(e) collègue, à la suite d’une conférence publique donnée dans le cadre d’un colloque organisé par la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.

Ces propos sont à la fois peu reluisants et peu représentatifs de la société québécoise : « Ces intellos gauche-caviar mériteraient juste qu’on les parachute en Syrie au beau milieu de ces fous d’Allah. Juste pour voir si leur beau discours de complaisance leur sauverait la vie … Ils la trouveraient pas mal moins drôle habillés en jaune orange et se faisant filmer pendant qu’on les décapiterait avec un petit couteau … » Cet extrait a été publié dans un quotidien de presse lu amplement à travers le Québec.

L’auteur de ce contenu pour le moins violent jouit de sa liberté d’expression, certes. Mais il est à se demander si une telle aversion des chercheurs en sciences sociales est utile aux débats de société en ces temps où les tensions sociales et intercommunautaires atteignent déjà un paroxysme. Le vivre ensemble peut-il survivre face à une telle violence verbale et à ces discours haineux?

On reproche régulièrement aux chercheurs universitaires de ne pas prendre la parole en public et de se contenter de débattre à huis clos dans leur prétendue tour d’ivoire. Or, la possibilité d’être exposé à des propos de la nature de ceux rapportés ci-haut rend l’engagement public peu attrayant, voire le décourage.

Que la recherche dérange à l’occasion, cela va de soi : elle ne peut se limiter à contenter le statu quo ni le prêt-à-penser. La recherche en sciences sociales se refuse par ailleurs à céder à l’emprise des réponses faciles, voire simplistes, face à des enjeux sociaux complexes comme ceux que nous traversons mondialement et localement de nos jours.

Les chercheurs et professeurs en sciences sociales de l’Université Laval, appuyés par d’autres collègues de la même université, s’unissent pour solliciter que leur voix, fondée sur la recherche savante, soit respectée. Ne pas être d’accord avec nous, dans la pluralité de nos opinions et de nos perspectives, est un droit citoyen et démocratique inviolable, mais nous proposons un dialogue et des critiques sans haine, ni violence, ni menaces.

Nous appelons notamment à ce que le Conseil de presse du Québec fasse preuve d’une vigilance continue face aux propos haineux et/ou menaçant la vie et la sécurité des chercheurs universitaires, propos qui sont encore diffusés et publiés impunément par certains médias; que le Conseil de presse du Québec multiplie dans les médias des messages préventifs clairs qui condam­nent ces propos haineux et/ou menaçants; que nos élus et les institutions publiques concernées (par les voix notamment de la ministre de l’Enseignement supérieur et du ministre de la Sécurité publique) envoient un message public encore plus clair condamnant fermement tous propos haineux et/ou menaçant la vie et la sécurité des chercheurs universitaires; et que les institutions d’enseignement et de recherche, ainsi que les organismes subventionnaires de la re­cherche, redoublent de vigilance et de soutien en faveur des chercheurs universitaires qui font face aux propos haineux et/ou menaçants lorsqu’ils se font le devoir de prendre publiquement la parole, afin de maintenir un espace de dialogue ouvert et respectueux.

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Les opinions exprimées sont celles des signataires et pas nécessairement celles de l’ACPPU. Pour voir le nom des signataires, télécharger https://qr.net/gtrGxW.