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Les fondements juridiques de la liberté académique au Canada

Contrairement à la plupart des autres pays, le Canada aborde peu la liberté académique dans sa constitution et dans ses lois. Les tribunaux judiciaires canadiens n’ont formulé que de rares commentaires sur le sujet, qui ont peu de poids sur le plan juridique. Les tribunaux des droits de la personne ont entendu très peu de plaintes traitant de la liberté académique. À l'exception de celles du Québec, les lois provinciales régissant les universités et les collèges en disent très peu sur la liberté académique. Les plus importantes protections juridiques de la liberté académique sont plutôt d’ordre contractuel; elles font partie des conventions collectives négociées par les associations et syndicats de personnel académique, qui en assurent le respect. En ce sens, ce sont les arbitres du travail qui traitent principalement des questions de liberté académique au Canada.


Les tribunaux judiciaires canadiens ont rarement abordé la question de la liberté académique, mais, lorsqu’ils l’ont fait, ils lui ont accordé une interprétation large et libérale. En 1990, le juge La Forest a écrit au nom de la majorité dans McKinney c. Université de Guelph (un litige portant sur la retraite obligatoire), en obiter dicta, que la liberté académique est une question « urgente et réelle » puisqu'elle est nécessaire « à la recherche du savoir et au rayonnement des idées en toute liberté » qui sont « essentielles à la vitalité de notre démocratie ».

Dans Maughan v. University of British Columbia, le tribunal a conclu que la liberté académique, comprise comme la « liberté d'exprimer et d'explorer des idées pour faire progresser à la fois la connaissance et la compréhension », correspond à une valeur de la Charte dans la mesure où il s'agit d'une « valeur d'une importance critique dans une société libre et démocratique ». Dans Pridgen v. University of Calgary, la juge Paperny a écrit : « À mon avis, il n'y a pas de conflit conceptuel légitime entre la liberté académique et la liberté d'expression. La liberté académique et la garantie de la liberté d'expression contenue dans la Charte servent les mêmes objectifs : l'échange significatif d'idées, la promotion de l'apprentissage et la poursuite du savoir. » Dans Parent c. R, la Cour a déclaré que la liberté académique et l'importance des établissements d'enseignement supérieur et de la recherche académique étaient des éléments clés d'une démocratie qui valorise la liberté de pensée et d'expression.


Dans plusieurs décisions importantes, les arbitres du travail ont déterminé que la liberté académique joue un rôle essentiel dans une société démocratique et nécessite une interprétation large. L'arbitre Sims, dans University of Saskatchewan, a déclaré ce qui suit : «[…] la liberté académique et ses protections sont des concepts qui doivent être interprétés de manière libérale afin de leur permettre d'atteindre leur objectif ». Dans University of Manitoba Faculty Association : « Le principe de la liberté académique est d'une importance fondamentale non seulement pour l'université et le corps professoral, mais aussi pour l'ensemble de la collectivité. »  Dans York University, l'arbitre Goodfellow a écrit :

Peu de concepts ou de principes sont plus importants que la liberté académique pour assurer la santé et le dynamisme d'une université. L'académie est et doit être un rempart contre la pensée conventionnelle et l'opinion reçue, non seulement dans l'intérêt de ses membres, mais aussi dans celui de la société dans son ensemble. C'est par la liberté de pensée, la recherche et le développement, et la diffusion des idées que la société évolue et effectue des progrès. C’est grâce à des débats publics libres et à l’examen scientifique que certaines pratiques et croyances d'aujourd'hui deviennent les notions discréditées et les idées dépassées de demain. L'université a un rôle essentiel à jouer dans ce processus - un rôle qui ne peut être rempli que lorsqu'on adopte une définition large de la liberté académique et qu'on la protège jalousement.

Si les arbitres du travail ont adopté une interprétation sophistiquée et nuancée de la liberté académique en matière d'enseignement et de recherche, leurs décisions relatives au droit d'exprimer son opinion sur l'établissement et son administration (liberté académique intra-muros) et au droit à l’expression libre d'opinions sur des questions d'intérêt public (liberté académique extra-muros) sont mitigées. Cela peut s'expliquer par le fait que les arbitres ont du mal à trouver un équilibre entre les concepts traditionnels du droit du travail, comme l'obligation de loyauté envers l'employeur, et les caractéristiques uniques du milieu de travail académique. Ce qu'il manque parfois, c'est la reconnaissance du fait que les universités et les collèges sont des milieux de travail, certes, mais des milieux de travail particuliers en raison de la liberté académique.

Pour en savoir plus :

  • Michael Lynk. « Academic Freedom, Canadian Labour Law and the Scope of Intra-mural Expression », Constitutional Forum, vol. 29, no 2 (2020), p. 45-64.
  • David Robinson. “Academic Freedom in Canada: A Labor Law Right” Academe, automne 2019.