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15 décembre / 25 ans de la Loi sur l’équité en matière d’emploi

Transcriptions

Pat Armstrong: Bonjour à toutes et à tous! Je m’appelle Pat Armstrong et je suis coprésidente du Comité de l’équité à l’ACPPU. J’aimerais commencer par notre formule de reconnaissance du territoire et profiter de l’occasion pour vous rappeler que, bien que nous soyons rassemblés de façon virtuelle, nous accomplissons tous notre travail sur des territoires autochtones bien précis. Certains sont visés par des traités, mais d’autres demeurent non cédés. J’aimerais que vous réfléchissiez aux circonstances dans lesquelles nous occupons ces espaces aujourd’hui et à jamais.

Il y a 36 ans, Rosalie Abella s’est vue confier, par le gouvernement fédéral, le mandat d’« enquêter sur les moyens les plus efficaces et équitables de promouvoir les chances d’emploi [et] d’éliminer la discrimination systémique » contre quatre groupes à l’étude, à savoir les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles. Aujourd’hui, bien entendu, nous dirions que les groupes en quête d’équité comprennent les femmes, les Autochtones, les minorités racialisées, les personnes handicapées et les membres de la communauté LGBTQ+. Il y a 25 ans aujourd’hui, la Loi sur l’équité en matière d’emploi actuelle était adoptée. Tout dernièrement, le gouvernement a annoncé son intention de moderniser la Loi.

Aujourd’hui, trois intervenants nous feront part de leurs points de vue sur l’héritage laissé par la Loi sur l’équité en matière d’emploi, sur ce qu’il doit se passer maintenant et sur la manière dont devrions profiter de la nouvelle occasion qui se présente.

Permettez-moi de vous présenter les trois intervenants :

Carol Agócs

Titulaire d’un doctorat, Carol Agócs est professeure émérite au département de sciences politiques à l’Université Western de London, en Ontario. Ses recherches et publications traitent de l’inégalité raciale, de l’inégalité de genre et de la discrimination dans l’emploi, ainsi que de la politique sur l’équité en matière d’emploi et de son application. Au nombre de ses publications, citons Employment Equity in Canada: The Legacy of the Abella Report et Workplace Equality: International Perspectives on Legislation, Policy and PrActice.

Larry Rousseau

Larry Rousseau est vice-président exécutif au Congrès du travail du Canada. Auparavant, il a occupé des postes de direction au sein de l’Alliance de la fonction publique du Canada. Il a fait carrière dans la fonction publique à Statistique Canada, ministère auquel il demeure attaché à ce jour. Il est titulaire d’un certificat en droit civil de la Faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa, ainsi que d’une maîtrise en administration publique de l’École nationale d’administration publique du Québec.

Malinda Smith

Malinda Smith est professeure de sciences politiques et la première vice-rectrice à l’équité, à la diversité et à l’inclusion à l’Université de Calgary. Ancienne vice-présidente aux questions d’équité à la Fédération des sciences humaines, elle préside actuellement le Comité consultatif du Congrès sur l’équité, la diversité, l’inclusion et la décolonisation. Elle fait partie du groupe de travail de Statistique Canada sur les communautés noires au Canada, du Comité consultatif sur les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion des Chaires de recherche du Canada, et du comité consultatif interuniversitaire pour les dialogues nationaux et l’action pour des collectivités et un enseignement supérieur inclusifs.

Je cède d’abord la parole à Carol.

Carol Agócs: Merci Pat Armstrong pour votre introduction, et merci à vous tous d’être présents aujourd’hui pour parler de la Loi sur l’équité en matière d’emploi du Canada. L’actuel climat de militantisme au service des questions liées au racisme systémique, au sexisme et aux handicaps, de la nécessité d’agir en faveur de la réconciliation avec les peuples autochtones, et de la reconnaissance des identités LGBTQ+ me rappelle le climat politique qui régnait au Canada au milieu des années 1980, lorsque le rapport Abella a été commandé et publié.

La juge Rosalie Silberman Abella, qui siège maintenant à la Cour suprême du Canada, a rédigé à titre d’auteure unique le rapport de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi, publié en 1984 à une époque marquée par un militantisme de base et l’espoir que le progrès vers la justice sociale était possible. Son mandat, et le principal objet de son rapport, consistait à enquêter sur la discrimination systémique en matière d’emploi et ses conséquences sur quatre groupes désignés à l’époque comme étant les femmes, les minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées. Introduite par la ministre de l’Emploi et de l’Immigration, Flora MacDonald, la Loi sur l’équité en matière d’emploi a été adoptée en 1986 par le gouvernement Mulroney et est entrée en vigueur en 1987.

La Loi sur l’équité en matière d’emploi de 1995, qui a remplacé la Loi de 1986 et l’a modifiée, incorporait dans son champ d’application la fonction publique fédérale, les Forces canadiennes et la GRC. La Loi de 1995 à la fois renforçait et affaiblissait des éléments du régime d’application de la Loi de 1986. Revenant sur son travail à la Commission royale, Mme Abella faisait la remarque qu’il était crucial de comprendre la signification de l’égalité. Elle est arrivée à la conclusion que le respect des différences permettait aux gens d’être traités sur un pied d’égalité. Faire fi des différences engendre l’inégalité. Ce principe demeure la clé pour comprendre ce qu’implique l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

La Loi de 1986 a reçu un accueil mixte. Bien que certaines personnes en quête d’égalité et certains défenseurs des droits de la personne aient salué le potentiel qu’elle offrait d’éliminer les obstacles systémiques aux possibilités économiques et en matière d’emploi des femmes, des communautés racialisées, des personnes handicapées et des Autochtones, d’autres ont dénoncé ses lacunes et ses limites. La Loi sur l’équité en matière d’emploi était proactive dans la mesure où elle visait à prévenir la discrimination plutôt qu’à la résoudre après coup, comme c’est le cas en matière des droits de la personne. Elle permet de traiter des problèmes systémiques, pas seulement des plaintes ponctuelles de discrimination.

La Loi était d’application obligatoire pour les employeurs de compétence fédérale, et elle était typiquement canadienne au lieu d’être une copie de la politique américaine d’action positive. Toutefois, la Loi sur l’équité en matière d’emploi avait une portée limitée et prescrivait un ensemble restreint d’exigences aux employeurs. Le rapport de la juge Abella soulignait qu’un éventail de changements et de mesures de soutien s’imposait au niveau institutionnel pour faire de l’égalité en matière d’emploi une réalité. Ces changements et mesures débordent du cadre d’une loi fédérale sur l’équité dans le lieu de travail, mais ils sont nécessaires pour s’attaquer à la discrimination systémique de manière plus générale.

Nous attendons toujours la mise sur pied du réseau national de garderies publiques préconisé dans son rapport, et les systèmes d’évaluation de l’expérience professionnelle et des titres de compétence acquis à l’étranger continuent de présenter des lacunes. Les possibilités de s’instruire et les conditions de vie saines requises pour favoriser le succès en matière d’emploi continuent de faire défaut dans les communautés autochtones. Malgré la législation adoptée sur les accommodements au bénéfice des personnes handicapées, celles-ci sont toujours confrontées à des obstacles sur le lieu de travail et au manque de possibilités d’emploi.

On attend encore des provinces, dont les lois couvrent la vaste majorité des travailleurs canadiens, qu’elles adoptent et conservent une loi sur l’équité en matière d’emploi. Sous la direction du gouvernement NPD de Bob Ray, l’Ontario a adopté une loi avant-gardiste sur l’équité en matière d’emploi au début des années 1990, mais elle a été l’une des premières lois abrogées par le gouvernement conservateur Harris en 1995. De nos jours, moins de 13 % de la main-d’œuvre canadienne sont visés par des exigences d’équité en matière d’emploi imposées au niveau fédéral. La Loi est limitée également par d’autres faiblesses. Depuis sa création, son application et les sanctions appliquées en cas de non-conformité avec les exigences sont inefficaces. Les employeurs s’exposent à des amendes s’ils soumettent au gouvernement des rapports annuels inexacts, mais ils ne sont pas sanctionnés s’ils négligent d’établir et de mettre en œuvre des plans et des objectifs d’équité en matière d’emploi.

Trop souvent, la collecte et la publication de données sur les effectifs sont devenues une question de chiffres sans contribuer véritablement à un changement réel en faveur d’une plus grande équité en milieu de travail. Certains employeurs prennent l’équité en matière d’emploi au sérieux et font preuve d’un engagement soutenu accompagné d’améliorations. D’autres, toutefois, ont été séduits par des discours contradictoires sur des stratégies de diversité et d’inclusion volontaires qui rehaussent l’image d’une société sans obliger celle-ci à rendre des comptes sur les mesures prises pour réduire les obstacles systémiques et démontrer les gains en matière d’équité pour leurs employés. Si les employeurs ne subissent pas de conséquences sur le plan juridique, il leur sera sans doute facile de laisser l’équité en matière d’emploi reculer en importance au profit d’autres priorités. Un certain nombre de faiblesses, inhérentes et autres, ont donc limité la capacité de la Loi sur l’équité en matière d’emploi à engendrer les résultats qu’elle était censée produire.

On a noté un décalage entre la politique et la pratique, entre la théorie et la vision stratégique de l’équité en matière d’emploi d’Abella en tant que remède contre la discrimination systémique en milieu de travail, et la réalité, à savoir que bon nombre d’employeurs ont tendance à ne faire que le minimum requis pour se conformer à la Loi. Les employeurs mettent en application la Loi telle qu’elle a été rédigée, et non la politique d’équité en matière d’emploi telle qu’elle avait été envisagée par Abella.

Il s’est écoulé 33 ans depuis l’adoption de la version originale de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Des études montrent que, malgré ses faiblesses, la Loi a laissé un héritage important et permis de gagner beaucoup de terrain. Selon des données fournies par des employeurs assujettis au Programme légiféré d’équité en matière d’emploi (PLEME), des gains ont été réalisés en ce qui a trait à la représentation des femmes et des membres des groupes racialisés dans les secteurs public et privé, et à celle des Autochtones dans le secteur public.

Les femmes ont réalisé des gains notables sur les plans de l’accès et de l’avancement professionnel grâce à l’équité en matière d’emploi, mais les quatre groupes visés par l’équité demeurent sous-représentés dans les postes de direction. D’après une étude de 2010 où l’on comparait de grandes entreprises assujetties au PLEME et au Programme de contrats fédéraux (PCF) à des entreprises au classement du Financial Post 500 non astreintes à ces programmes, les pratiques de gestion de la diversité étaient plus fréquentes dans les entreprises assujetties au PLEME, puis dans celles assujetties au PCF, que dans d’autres entreprises du Fortune 500. Les différences étaient marquées sur les plans du recrutement, de la formation et du perfectionnement, ainsi que de la reddition de comptes par rapport aux objectifs d’équité en matière d’emploi.

Les chercheurs à Enron Burke sont arrivés à la conclusion que, et je cite, « la loi relative à l’équité en matière d’emploi demeure l’outil le plus efficace pour promouvoir l’équité et la diversité dans les organisations canadiennes. » Le lieu de travail d’aujourd’hui est très différent de celui pour lequel la Loi sur l’équité en matière d’emploi de 1986 ou de 1995 a été élaborée. Une proportion grandissante d’emplois sont non traditionnels et précaires. Une bonne partie n’offre pas de possibilités de carrière, de sécurité ou de protection en vertu de régimes d’avantages sociaux, ou même des normes d’emploi.

Les lieux de travail du secteur privé visés par une convention collective se font moins nombreux. Les employés doivent veiller eux-mêmes sur leur propre avenir professionnel, mais une proportion grandissante d’entre eux occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés ou travaillent à temps partiel ou sur une base bénévole, ou sont sans emploi. Bon nombre font face à des obstacles discriminatoires parce qu’ils sont des immigrants, des Autochtones ou des membres de groupes racialisés.

La COVID-19 a fait ressortir la vulnérabilité des travailleurs du secteur des services essentiels, surtout des membres de groupes racialisés et des femmes, qui sont surreprésentés parmi les personnes qui ont contracté le virus et celles qui sont décédées en raison de leur travail auprès des malades ou des patients âgés, ainsi que des conditions de surpeuplement dans lesquelles elles vivent et travaillent. Leur situation dramatique devrait très certainement attirer l’attention de la population canadienne et de notre gouvernement sur la nécessité d’offrir des conditions de travail plus équitables aux personnes sur lesquelles nous comptons pour prodiguer des soins à chacun d’entre nous et à tous les Canadiens et Canadiennes.

Dans le cadre de sa mise à jour économique de l’automne, 33 ans après l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, le gouvernement du Canada a annoncé un financement pour appuyer un groupe de travail sur la modernisation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, ainsi que des fonds supplémentaires pour élargir le programme Possibilités en milieu de travail et éliminer les obstacles à l’équité, de même que pour soutenir les initiatives de lutte contre le racisme et les propriétaires d’entreprises noirs.

Ces annonces ont engendré l’espoir. La Loi n’a pas été révisée depuis 2002, bien que ses dispositions prévoient une révision après cinq ans. Les changements apportés à la réglementation par le gouvernement Harper ont affaibli le Programme de contrats fédéraux; son projet de loi omnibus sur le budget a réduit le financement accordé à la Commission canadienne des droits de la personne, responsable des examens de conformité et de l’application du Programme légiféré d’équité en matière d’emploi.

Il est arrivé, par le passé, que des révisions de la Loi ou de son règlement par le gouvernement aient été porteuses de mauvaises nouvelles pour les personnes militant pour l’équité. Toutefois, dans le meilleur de cas, le groupe de travail chargé de moderniser la Loi sur l’équité en matière d’emploi, dont la création a été annoncée dernièrement, pourrait corriger certaines des faiblesses inhérentes à la Loi et recommander qu’un financement adéquat soit versé pour aider les employeurs à mettre en œuvre la Loi comme il se doit et soutenir la Commission canadienne des droits de la personne dans l’exercice de ses activités de vérification et d’application de la Loi.

Ma vision pour une Loi sur l’équité en matière d’emploi plus vigoureuse passe par les changements suivants. Premièrement, conformément aux consultations approfondies menées auprès de représentants des groupes en quête d’équité, modifier la terminologie employée dans la Loi pour désigner ces derniers; le terme « minorités visibles » n’est pas acceptable et l’expression « Aboriginal peoples » en anglais devrait être remplacée par « Indigenous peoples ».

Deuxièmement, élargir le champ d’application de la Loi pour inclure parmi les groupes en quête d’équité la communauté LGBTQ+ et les personnes bispirituelles.

Troisièmement, modifier le règlement d’application de la Loi pour exiger que la collecte, l’analyse et la diffusion des données des employeurs tiennent compte de la réalité de l’intersectionnalité ou des identités multiples. Cela permettrait, par exemple, d’analyser l’inégalité de genre au sein des populations racialisées, autochtones et handicapées, ainsi que l’inégalité fondée sur le groupe racial, l’appartenance autochtone et le handicap au sein de la population féminine.

Quatrièmement, renforcer la Loi de manière à exiger que les employeurs assujettis au PLEME fournissent la preuve qu’ils mettent effectivement en œuvre leur plan d’équité en matière d’emploi et atteignent les objectifs qu’ils se sont fixés afin de combler le fossé entre la représentation des groupes en quête d’équité dans leur lieu de travail et sur le marché du travail. Il faudrait leur imposer des sanctions importantes s’ils ne mettent pas en œuvre leur plan d’équité, et pas seulement s’ils ne fournissent pas les données requises.

Cinquièmement, accroître la couverture du Programme de contrats fédéraux en abaissant le seuil des contrats, fixé actuellement à un million de dollars, à, disons, 50 000 $ comme c’est le cas aux États-Unis, et en réduisant la taille minimale de l’effectif à peut-être 50 employés au lieu de 100. Améliorer la reddition de comptes par les titulaires de contrats en exigeant qu’ils rendent publics, sur une base régulière, les évaluations de leur système d’équité en matière d’emploi, de même que leurs plans, objectifs et résultats liés à l’équité en matière d’emploi.

Sixièmement, exiger que les employeurs assujetties au PLEME et au PCF tiennent des consultations approfondies avec leurs syndicats et mettent sur pied des comités chargés de l’équité en matière d’emploi formés de représentants des groupes en quête d’équité, ainsi que de dirigeants de l’organisation, de représentants syndicaux et de spécialistes des ressources humaines. Ces comités devraient jouer des rôles de premier plan dans la mise en œuvre des examens des systèmes d’emploi exigés, ainsi que dans l’examen minutieux des plans d’équité en matière d’emploi de l’employeur, des objectifs et des efforts de mise en œuvre, la responsabilité continuant toutefois de reposer entre les mains de la direction.

Finalement, en septième lieu, prévoir un soutien budgétaire continu pour les activités de vérification et d’application de la Loi de la Commission canadienne des droits de la personne et du tribunal de l’équité en matière d’emploi, ainsi que pour le Programme du travail ou toute autre entité qui offre des services permanents de consultation et de soutien aux syndicats patronaux, aux groupes en quête d’équité et à d’autres parties contribuant à la mise en pratique des exigences d’équité en matière d’emploi.

Pat Armstrong : Merci beaucoup, Carol, pour ce tableau complet que vous nous avez brossé du rapport et des deux lois sur l’équité. À vous maintenant, Larry, de prendre la relève.

Larry : Bonjour et merci…

Il y a trente-cinq ans que la Loi sur l’équité en matière d’emploi a été adoptée, et près de vingt ans se sont écoulés depuis son examen législatif majeur le plus récent.

Pourtant, nos lieux de travail ne sont pas encore le reflet de la diversité de la population canadienne.

Le CTC a bien accueilli l’engagement pris par le gouvernement fédéral dans son Énoncé économique de l’automne 2020 de créer un groupe de travail sur la « modernisation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ».

Les syndicats du Canada demandent un examen de cette loi depuis longtemps, car ils reconnaissent que les progrès ont été extrêmement lents.

Il y a nettement lieu d’en faire davantage pour niveler les obstacles systémiques qui empêchent les femmes et les personnes autochtones, noires et racialisées, et ayant un handicap d’accéder aux emplois et de gravir les échelons dans le champ de compétence fédéral.

La dernière fois qu’il a été question de réviser la Loi, c’est quand Stockwell Day et Jason Kenny ont annoncé l’intention du gouvernement conservateur d’examiner l’équité en emploi dans la fonction publique fédérale.

Mais la révision demandée n’a jamais eu lieu et le gouvernement Conservateur a continué à piétiner en matière d’équité dans les pratiques d’emploi fédérales.

Voici des questions dont nous aimerions traiter :

La Loi devrait permettre de tenir compte de groupes qui font l’objet de discrimination systémique mais qui ne sont pas assujettis à la Loi à l’heure actuelle. Les LGBTABI deviendront-ils un cinquième groupe désigné?

L’usage du terme « minorités visibles » a été très critiqué parce qu’en regroupant bon nombre de groupes très différents, il cache les formes distinctes de racisme et de discrimination dont font l’objet les personnes noires ou les personnes musulmanes ou sikhes, par exemple (en raison de leurs pratiques religieuses et de leurs tenue vestimentaire).

Faut-il tenir compte aussi des travailleurs et travailleuses les plus vieux, des jeunes, de ceux qui assument des responsabilités de prestation de soins ou de ceux d’autres catégories?

Nous devrons examiner non seulement la représentation des membres de groupes recherchant l’équité dans l’ensemble des lieux de travail, mais aussi les lieux où ils travaillent, les emplois qu’ils occupent et leur représentation à différents niveaux au sein des effectifs.

  • Ont-ils accès à des promotions, ont-ils des possibilités de se perfectionner et d’avancer dans leur carrière?
  • Quelles mesures ont été prises pour changer les choses?
  • Lesquelles sont efficaces?
  • La Loi aura-t-elle le mordant nécessaire pour que les objectifs d’équité en matière d’emploi soient atteints?
  • Quelles mesures doivent être prises pour exiger et obtenir la reddition de comptes?
  • Comment pouvons-nous mieux intégrer l’intersectionnalité à l’évaluation du succès de la Loi?
  • La Loi permettra-t-elle de recueillir et d’utiliser à des fins administratives des données, dûment subdivisées, afin de mieux comprendre les obstacles qui risquent de continuer à poser des problèmes aux groupes recherchant l’équité?
  • La nouvelle édition de la Loi comparera-t-elle les résultats des différentes parties du programme – la fonction publique, le secteur privé et le Programme de contrats fédéraux? Quels soutiens et ressources pourraient être établis pour encourager des progrès valables et provoquer le changement culturel nécessaire afin de créer des lieux de travail vraiment inclusifs?

Nous entendons souvent des gestionnaires parler de « diversité et d’inclusion » – cela devient une des principales valeurs de l’organisation et il y a une industrie entière de spécialistes et de consultants à ce sujet qui croît à pas de géant.

Je ne doute pas des bonnes intentions des employeurs qui veulent faire savoir qu’ils sont favorables à la diversification de la main-d’œuvre, mais l’avantage d’une loi proactive est qu’elle exige de prendre des mesures et d’obtenir des résultats – pas de simplement porter de belles paroles à son site Web. La responsabilité et l’imputabilité d’une application concrète des principes et des actions d’équité en matière d’emploi manquent, carrément.

En somme, nous reconnaissons que l’équité en matière d’emploi n’est pas un passe-partout dans la recherche de l’élimination des obstacles systémiques – ce n’est qu’un des outils du coffre.

Pour vraiment changer les choses, nous devons régler des questions telles que l’absence de services de garde à l’enfance et d’autres soins universels, l’accès à la formation et à l’éducation, la violence et le harcèlement au travail, le manque d’accès aux soutiens et traitements en santé mentale et de très nombreuses autres.

Bien sûr, c’est pour cela que les syndicats agissent et que les droits de la personne sont au cœur d’une si grande partie de leurs efforts.

Nous devons donner la priorité aux droits de la personne et à l’équité plus que jamais.

Un regard sur deux décennies d’équité en matière d’emploi (de 1987 à 2009) porte à croire qu’elle n’a pas été uniformément efficace pour les quatre groupes désignés.

La population autochtone est censée continuer à croître et elle constituera une importante source de main-d’œuvre pour le Canada.

Toutefois, les Autochtones continuent de se heurter à des obstacles à leur participation à la population active.

Les personnes ayant un handicap continuent de se heurter à des obstacles très semblables car elles sont sous-représentées en milieu de travail, et il arrive souvent qu’ils soient concentrés dans des emplois au bas de l’échelle, et à temps partiel.

C’est pour cela que les décideurs devraient assurer une meilleure mise en application de l’équité en matière d’emploi car les employeurs n’hésitent pas à invoquer des « exigences professionnelles justifiées » et des « contraintes excessives » pour refuser de prendre des mesures d’adaptation aux besoins des travailleurs et travailleuses ayant un handicap.

On estime que ce sont les femmes et les membres de minorités visibles qui illustrent certains succès de l’équité en matière d’emploi, et leurs tendances en matière d’emploi se ressemblent beaucoup.

Leurs taux de représentation suivent de très près leur disponibilité sur le marché du travail (sauf dans le cas des femmes ces dernières années), et leur représentation est proportionnelle dans les emplois professionnels et de gestion.

Toutefois, il y a des plafonds de verre dans le cas des minorités visibles et des femmes aux niveaux supérieurs de la direction, et elles sont démesurément employées et ghettoïsées si les conditions sont égales par ailleurs.

Bien que l’équité en matière d’emploi ait été partiellement efficace, il y a lieu de s’efforcer davantage de rompre le plafond de verre et de permettre aux membres de minorités visibles et aux femmes d’entrer sur un pied d’égalité dans la chasse gardée des « hommes blancs ».

Une des mesures prises à cette fin est la politique québécoise sur les services de garde d’enfants et les congés parentaux universels.

La Loi a été adoptée pour niveler les obstacles en milieu de travail afin que personne ne se voit privée de possibilités d’emploi pour des raisons n’ayant pas trait à ses compétences.

L’équité en matière d’emploi exige que les organisations prennent des mesures spéciales et adoptent des politiques et des pratiques positives pour assurer aux membres des groupes désignés une représentation proportionnelle au travail.

C’est pour cela que les employeurs sont tenus de prendre des mesures proactives pour éliminer les obstacles à l’emploi et de voir à ce que les groupes désignés soient proportionnellement représentés et répartis au sein de leurs effectifs.

Combien de cas de non-conformité ont été renvoyés au Tribunal canadien des droits de la personne, et à mon humble avis les interventions dans l’ensemble n’ont pas été efficaces.

Un des principaux indicateurs du succès de l’équité en matière d’emploi au Canada est l’atteinte d’une représentation proportionnelle des membres des groupes désignés par rapport à leur taux de disponibilité sur le marché du travail.

C’est sur ce fond que l’étude en cours examine l’efficacité de l’équité en matière d’emploi au Canada à la lumière des données des rapports annuels publiés selon la Loi.

Au début de la mise en place du programme d’Équité en matière d’emploi, en 1987, les agences centrales (le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique) avait la responsabilité directe d’assurer la mise en œuvre du programme. Chaque ministère avait un ou des agents de programme d’Équité en matière d’emploi, chargé.s de la mise en place et de l’application des plans pour assurer la représentation des groupes cibles et notamment des campagnes de déclaration volontaire (self-identification) étaient en place dans plusieurs ministères. Les agents de programme faisaient rapport aux agences centrales, qui gardaient les ministères imputables. En 1997, avec la mise en place de la nouvelle Loi, les agences centrales ont délégué aux ministères et agences notamment aux directeurs de département, la responsabilité du programme. Sans une direction centralisée, les ministères ont pataugé dans une dynamique d’application non uniformisée des normes établis par la législation. Le coup de grâce a été assaini en 2004 par la Loi sur la modernisation dans la fonction publique. Cette nouvelle législation avait pour but de décentraliser encore plus le processus de sélection du personnel dans les ministères. Notamment, le principe du mérite devait faire place au principe du « best fit » ou la personne la mieux adaptée pour être nommée au poste, selon le jugement (souvent subjectif) du ou de la gestionnaire qui embauchait. Avec l’arrivée quelques années plus tard d’un gouvernement qui n’avait aucunement l’intention de ni rectifier le tir ni d’appliquer la lettre et l’esprit de la Loi, nous avons la situation que nous avons aujourd’hui. Une loi et un programme d’Équité en matière d’emploi désuet, inefficace, et sans issue, Passons maintenant à l'Action. Merci.

Pat Armstrong : Vos propos tombent à point; vous avez soulevé d’importantes questions sur les groupes absents de la Loi et la manière de les inclure dans le processus. Malinda Smith.

Malinda Smith : Bonjour et merci beaucoup. Je vais aborder quatre points concernant essentiellement le Programme des contrats fédéraux et ses répercussions sur les universités, les collèges et les cégeps au Canada. Tel qu’il a été mentionné dans les interventions précédentes, le Programme des contrats fédéraux a été la voie par laquelle les universités, les collèges et les cégeps se sont insérées dans une bonne partie de ce débat.

Tout d’abord, j’aimerais simplement faire le point sur là où nous en sommes actuellement : il y a tout juste 50 ans, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme voyait le jour et voilà que nous soulignons maintenant le 25e anniversaire de la deuxième version de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Nous en sommes à la cinquième année d’existence de la Commission de vérité et réconciliation, avec ses 94 appels à l’action visant les peuples autochtones, y compris le rôle du secteur de l’enseignement postsecondaire.

Pourtant, nos infrastructures sur les plans de l’équité en matière d’emploi et de l’EDI (équité, diversité et inclusion) dans les universités canadiennes sont, à mon avis, très faibles. J’insiste sur le mot « infrastructure », car c’est en fait un élément fondamental. Ce n’est pas le terme qui a été utilisé dans le Programme des contrats fédéraux, mais c’est en fait ce qu’on réclamait en demandant la nomination de cadres supérieurs, la mise en place de mécanismes de collecte de données et de reddition de comptes.

Nous sommes en 2020, mais la majorité des institutions n’ont pas cette infrastructure, à l’exception – et c’est là un point important à souligner – de l’écosystème de recherche, où une telle infrastructure intervient pour le Programme des chaires de recherche du Canada ou celui du CERC ou le Fonds Nouvelles frontières en recherche pour les nouveaux chercheurs.

Le deuxième point que je veux soulever est que, dès que les universités canadiennes ont été astreintes aux exigences du Programme des contrats fédéraux, bon nombre d’entre elles ont fait passer leur infrastructure de quatre groupes en quête d’équité à un seul. Autrement dit, nous nous sommes concentrés sur la situation de la femme. Je pense que cela a découlé en fait des travaux antérieurs de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme, mais il y avait un deuxième élément, à savoir un mouvement féministe qui militait en faveur d’une plus grande reddition de comptes à l’égard de nous, les femmes membres du corps professoral, rattachées à des programmes d’études féminines. C’est la communauté qui a demandé des comptes. Autrement dit, la reddition de comptes n’a pas été institutionnelle – elle a plutôt été initiée par l’infrastructure du mouvement féministe hors du cadre de l’université.

Les universités n’ont pas élaboré de programme en matière d’équité raciale et la plupart n’en ont toujours pas à ce jour. Elles n’ont pas adopté d’initiatives de lutte contre le racisme ou, le cas échéant, elles viennent tout juste de le faire en 2020. Peu d’entre elles proposaient des initiatives – visibles ou invisibles – axées sur les personnes handicapées, sauf par la voie d’indemnités et(ou) d’une aide aux étudiants. Dans l’ensemble, il y a toujours un fossé qui persiste. Le quatrième point que j’aimerais soulever, donc, tient au fait que la majorité des changements que nous avons observés concernant les Autochtones dans les universités, les collèges et les cégeps sont le fruit de la Commission de vérité et réconciliation, et ne résultent pas comme tel de l’équité en matière d’emploi ou de l’EDI.

Je tiens à faire une distinction entre l’équité en matière d’emploi et l’EDI. Le principe de l’équité en matière d’emploi, c’est qu’elle est ancrée dans les luttes pour le respect des droits de la personne et l’égalité. On pense soit au rapport Abella et à la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi, soit à la Loi sur l’équité en matière d’emploi ou à l’article 15 de la Charte, qui appelle à prendre des mesures spéciales. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’équité en matière d’emploi, mais pas l’EDI. Le principe de l’équité, de la diversité et de l’inclusion est volontaire, ponctuel et peut être considéré comme un luxe qu’on peut se permettre quand tout va bien. Mais ce qu’il nous a permis de faire – contrairement à l’équité en matière d’emploi –, c’est d’interpeller les étudiants. Donc, tandis que l’équité en matière d’emploi concerne principalement le corps professoral et le personnel de l’université – les employés ou l’emploi, autrement dit – la notion d’EDI, elle, inclut aussi les étudiants au premier cycle, diplômés et postdoctoraux, et s’étend à l’expérience étudiante, aux programmes d’études et à d’autres aspects. C’est donc une différence cruciale.

L’autre point que j’aimerais aborder également – et je pense qu’on en a déjà parlé alors je ne vais pas m’éterniser là-dessus –, c’est que nous devons être conscients que la force des programmes comme le Programme des contrats fédéraux réside à mon avis dans le fait que, ironiquement, les arguments qu’on avançait persistent et, en fait, façonnent ce qui se passe actuellement dans les universités canadiennes. Par exemple, on réclamait 12 choses dans le cadre du Programme des contrats fédéraux.

L’une d’entre elles était l’adoption de mécanismes de reddition de comptes, mais nous savons qu’ils n’existent pas. On demandait la nomination d’un cadre supérieur. Les universités commencent maintenant à embaucher des gens comme moi ou des vice-doyens à l’EDI. Ça ne fait que commencer. Communication aux employés. Dans la plupart des universités, on mise sur une approche descendante au lieu d’exiger que les étudiants, le corps professoral et le personnel jouent un rôle. C’est en fait un mécanisme de reddition de comptes moins rigoureux aujourd’hui que celui réclamé antérieurement.

Collecte de données sur les effectifs. Les universités ont des données ventilées selon le sexe, mais pas forcément obtenues en vertu du principe d’EDI. Nous les avons parce que cette information figure sur tous les formulaires des universités et dans le Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges. Il n’y a pas de données comparables pour les minorités visibles/racialisées, les Autochtones, les personnes handicapées ou les membres de la communauté LGBTQ. La collecte de données s’effectue de façon disparate, et nous devons régler ça. Peu effectuent des analyses des effectifs. Peu seront en mesure de dire quels sont les obstacles et les préjugés auxquels font face les universités, auxquels fait face chaque groupe en quête d’équité. En fait, c’est une approche de type « tous dans le même moule ».

Si on ne cerne pas les obstacles et les préjugés, cela veut dire qu’on ne peut pas discuter de leur élimination. Donc, je dirais que les initiatives, les politiques et les processus que nous voyons émerger dans le sillage de la mobilisation contre le racisme, si audacieux qu’ils soient, restent des mesures ponctuelles, car elles ne sont pas nécessairement guidées par une analyse des données sur les effectifs.

Nous ne savons pas si elles contribueront vraiment à régler le problème, les problèmes systémiques. Nous ne savons pas quels mécanismes de surveillance sont en place. Cela renvoie au point soulevé par Carol, à savoir que toute refonte de la Loi sur l’équité en matière d’emploi doit s’accompagner d’un mécanisme de reddition de comptes plus rigoureux.

Le troisième point que j’aimerais porter à votre attention, encore une fois très brièvement, a trait aux changements apportés au Programme des contrats fédéraux sous le gouvernement Harper. Ce qui se passait alors, c’est qu’il avait toujours un très faible pourcentage d’universités, de collèges et de cégeps assujettis au Programme des contrats fédéraux. Quelque chose comme 59 ou 60 % d’entre eux. La majorité des universités membres de U15 y étaient assujetties. Après les changements apportés par le gouvernement Harper, seulement cinq universités membres de U15 environ étaient astreintes aux exigences du Programme, et je pense que maintenant, la plupart ne le sont pas.

En d’autres termes, la majeure partie des universités qui souscrivent au principe de l’EDI le font sur une base volontaire, et il n’existe en fait plus aucun mécanisme de reddition de comptes. Paradoxalement, toutefois, les universités qui agissent en faveur de l’EDI en se fondant sur une approche ou un mécanisme plus rigoureux, le font par la voie de l’écosystème de recherche, c’est-à-dire par l’intermédiaire des trois organismes, des Chaires de recherche du Canada et du programme Dimensions : équité, diversité et inclusion.

Elles réclament exactement les mêmes mécanismes que le Programme des contrats fédéraux, mais elles disposent en fait de mécanismes plus solides, notamment insister sur des données désagrégées. D’ailleurs, elles s’échangent des données sur les bourses d’études, les chaires de recherche, etc., y compris sur les maîtrises et les doctorats.

Le dernier point sur lequel j’aimerais insister est le suivant : je pense qu’il y a cinq ou six gestes à poser pour renforcer, moderniser la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

Premièrement, nous devons changer la terminologie. Bon nombre d’universités tiennent déjà compte de la communauté LGBTQ, donc une mise à jour s’impose. Deuxièmement, j’entends dire que les gens estiment qu’il est temps de procéder à une refonte de la terminologie associée aux minorités visibles ou racialisées. J’ai des réticences à ce sujet, et j’ai en fait part aux gens de Statistique Canada, car cela provient en fait de la Loi. Il y a toute une généalogie qu’on peut associer à cela, mais à mon avis, les données doivent être subdivisées selon les groupes suivants : les Noirs, les Asiatiques du Sud, les Chinois, les Philippins et les personnes racialisées.

Troisièmement, nous devons employer plutôt le terme « Indigenous » en anglais, mais nous devons désagréger pour pouvoir nous concentrer sur les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Nous devons également subdiviser en fonction de l’identité de genre et l’expression de genre. Oui, en recourant aux nuances et aux intersections; Statistique Canada le fait déjà. La troisième chose dont nous ayons besoin selon moi, en ce qui concerne les données désagrégées, c’est d’un mécanisme de reddition de comptes. Il doit y avoir des conséquences pour les universités qui ne se conforment pas aux exigences. Je sais que Carol a proposé que le seuil des contrats soit fixé à 50 000 $ comme critère de financement de ces universités. Je rajouterais que toute université qui reçoit des fonds de recherche – aux niveaux du baccalauréat, de la maîtrise ou du doctorat – devrait se doter d’un plan d’équité en matière d’emploi. Tout financement, à quelque niveau que ce soit, devrait être conditionnel à cela, pas seulement les contrats.

Puis, finalement, comme je l’ai dit, il doit y avoir des conséquences, des conséquences importantes, par exemple ne pas pouvoir demander un financement si l’on n’a pas de plan d’équité en matière d’emploi solide et assorti d’un mécanisme de reddition de comptes. Je serais heureuse de prendre encore le temps de vous parler plus abondamment des données désagrégées, car les données, y compris celles d’Universités Canada et du rapport de l’ACPPU intitulé Éducation postsecondaire : qu’en est-il de la diversité et de l’équité, montrent clairement que nous sommes encore loin de la représentation équitable, ce qui est le strict minimum dans les universités canadiennes. Merci!

Pat Armstrong : Merci, Malinda, d’avoir attiré notre attention sur certaines stratégies de changement très importantes et, je dois dire, merci à tous de nous avoir présenté des exposés qui ne se chevauchent pas, mais qui, plutôt, se renforcent les uns et les autres. Il ne fait pas de doute que nous avons vu des voies intéressantes pour aller de l’avant. L’une des questions qui revient constamment dans le clavardage a trait aux mouvements, aux mouvements sociaux. Vous y avez tous fait allusion dans une certaine mesure. Comment les syndicats et d’autres mouvements sociaux peuvent-ils travailler ensemble pour atteindre cet objectif, pour adopter des approches intersectionnelles pour aller de l’avant? C’est l’une des questions qui nous a été posée. Quelqu’un veut y répondre? Malinda?

Malinda Smith : Merci. Je crois sincèrement que tous les mouvements en faveur de l’équité dans les universités et les collèges canadiens ont résulté d’une mobilisation communautaire. Je l’ai déjà dit, j’attribue au mouvement féministe tout gain réalisé, y compris au sein des programmes d’études féminines, etc. Prenons le mouvement LGBTQ; c’est un mouvement qui a bousculé, qui a mobilisé le changement autour de la représentation, autour des alliances entre personnes gaies et hétérosexuelles, autour de ce genre de choses, et ce, indépendamment ce que qui se passait dans les universités, et il continue d’y avoir un soutien de la part d’acteurs externes. En fait, ça ressemble à ce qui se passe autour des mouvements contre le racisme qui ont vu le jour dernièrement; ils ont suscité des changements en faveur d’initiatives contre le racisme envers les Noirs. Il y a eu la Commission de vérité et réconciliation, qui a suscité des changements en faveur de l’autochtonisation. À mon avis, l’existence d’un mouvement social de type intersectionnel est cruciale, indispensable en fait pour maintenir la pression sur les universités qui semblent réticentes, à l’interne, à se mobiliser pour faire avancer l’équité, la diversité et l’inclusion. Donc, oui, les mouvements sociaux sont essentiels.

Pat Armstrong : Merci Malinda. Carol, avez-vous quelque chose à ajouter à propos des mouvements sociaux et d’autres acteurs extérieurs aux universités qui peuvent contribuer aux changements que vous préconisez?

Carol Agócs : Oui, je pense que si nous avons l’équité en matière d’emploi, c’est grâce à l’action des mouvements sociaux, et je pense que la juge Abella en était consciente au moment où elle a rédigé son rapport. Je pense que dans les circonstances actuelles, les mouvements sociaux sont indispensables pour obtenir les changements que nous souhaitons à la loi fédérale sur l’équité en matière d’emploi. Mais ils jouent aussi un rôle très important comme instrument susceptible de favoriser l’équité en matière d’emploi au niveau provincial, qui fait si cruellement défaut. À l’heure actuelle, la loi fédérale sur l’équité en matière d’emploi ne couvre qu’une faible proportion, disons de 10 à 12 %, de la main-d’œuvre canadienne, alors que la majorité des travailleurs sont régis par la réglementation et la législation sur l’emploi au niveau provincial. Sur le plan provincial, des groupes comme Color of Change ont recommandé que nous travaillions ensemble pour faire adopter une loi sur l’équité en matière d’emploi en Ontario ou dans d’autres provinces. Je pense que si nous réussissions à mobiliser les gens à l’échelle provinciale à cette fin, nous pourrions vraiment franchir un grand pas en faveur du changement.

Pat Armstrong : Larry?

Larry Rousseau : Oui, je pense que la scène provinciale présente le plus grand défi. C’est la grande frontière, mais cela dit, la mobilisation a pour but de porter ce dossier à l’avant-scène, que ce soit à Queen’s Park ou n’importe quelle autre assemblée législative, afin de faire en sorte que non seulement nous nous mobilisions, mais aussi que nous mettions en évidence les données, que nous les portions à l’attention des politiciens, l’idée étant de leur faire voir à quel point ils ont du rattrapage à faire à ce chapitre. Nous n’irons nulle part si nous ne pouvons pas compter sur un mouvement dynamique qui représente toutes les intersectionnalités dont nous parlons. C’est en reconnaissant toutes ces intersectionnalités que nous favoriserons cette solidarité qui amènera tous les intervenants à répondre « oui » à tous les niveaux, que ce soit au fédéral, au provincial ou au municipal. Partout. S’agissant de l’emploi, nous avons besoin de ces politiques et nous devons rendre des comptes et faire preuve de responsabilité en même temps.

Pat Armstrong : Merci. Deux autres questions ont été posées. L’une d’elles, en fait, découle en grande partie de ce que vous avez dit, Larry, au sujet des absents du texte législatif. Par exemple, devrait-on élargir la portée pour inclure, outre la communauté LGBTQ, l’état familial? L’âge? C’est ce qui a été soulevé dans ces questions. Je me demande si Carol et Malinda pourraient répondre à cela. À vous la parole en premier peut-être, Malinda?

Malinda Smith : On insiste beaucoup pour utiliser la liste des motifs du Code des droits de la personne. J’ai tendance à faire une distinction entre la législation sur les droits de la personne et sa liste générale de motifs énumérés, et l’équité en matière d’emploi. Selon moi, les aspects des droits de la personne sont déjà protégés et ce qu’Abella a fait, c’est examiner ces motifs ayant trait aux droits de la personne et dire : parmi ces groupes, voilà les cinq qui font l’objet d’une discrimination systémique et soutenue qui s’autoalimente. Je ne pense pas que les choses aient changé. Je pense que dans les universités, par exemple, il faut s’intéresser d’une façon ou d’une autre à la question de l’âge, en raison notamment de l’élimination de l’âge de la retraite obligatoire. Mais ce n’est pas tout à fait ce à quoi j’assiste.

Je pense que les programmes d’avantages sociaux tiennent aussi compte des différents types de familles. Là où je note le besoin de changer les exigences, c’est en ce qui concerne les travailleurs précaires. La question qui se pose est : comment faire pour réintégrer ce groupe du corps professoral à l’entente? Je dirais que la majorité des universités reconnaissent déjà dans leur déclaration les cinq groupes en quête d’équité, mais sans s’y limiter. Merci.

Pat Armstrong : D’accord, merci. Je trouve intéressant le fait que vous mentionniez les membres du corps professoral en situation précaire, car c’est l’une des questions soulevées dans la discussion. Carol, aimeriez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet?

Carol Agócs : Oui. L’impression que j’ai, actuellement, est que la Loi sur l’équité en matière d’emploi n’est pas un texte législatif qui peut changer le monde, et si on y ajoute ça, nous ne réussirons probablement pas à atteindre les résultats que nous visons concernant les groupes qui, comme l’a mentionné Malinda, font le plus l’objet de discrimination au sein de la main-d’œuvre. Je crois que nous devons renforcer notre engagement envers l’équité en matière d’emploi pour ces groupes, en y ajoutant la communauté LGBTQ+, qui n’était pas ciblée avant, essentiellement parce que les données justifiant une action en ce sens viennent d’être transmises aux décideurs.

Je pense qu’il faut se tourner vers d’autres solutions pour répondre aux besoins des travailleurs plus âgés, de tous les types de travailleurs vulnérables. Nous devons nous rappeler également que le système de protection des droits de la personne donne suite de manière particulièrement vigoureuse ont plaintes de discrimination et a, en diverses occasions, obligé des employeurs à changer leurs façons de faire dans le cadre d’une entente pour clore une affaire de discrimination. C’est une autre avenue à notre disposition. J’abonde dans le sens des propos de Malinda, à savoir que la procédure en matière de droits de la personne demeure un mécanisme important pour régler ces questions.

Pat Armstrong : Merci. Larry, lorsque vous parliez des absents du texte législatif, je me demande à quels employeurs vous faisiez référence. Carol et Malinda ont parlé du programme des contrats, mais y a-t-il d’autres employeurs qui ne sont pas assujettis à cette loi?

Larry Rousseau : Voulez-vous dire sur la scène fédérale ou en général?

Pat Armstrong : En général. En fait, les deux.

Larry Rousseau : Il y a assurément de quoi se poser la question : pourquoi les employeurs ne sont-ils pas tous assujettis à la Loi? Pourquoi devrions-nous avoir juste une catégorie d’employeurs? Si on veut vraiment ajouter foi et accorder du poids aux principes de l’équité en matière d’emploi, alors dès qu’on travaille dans le domaine du personnel – en passant, je déteste l’expression « ressources humaines »; elle me déplaisait déjà dans les années 1980 et 1990, quand tout à coup le terme « personnel » a été remplacé par « ressources humaines ». Nous ne sommes pas une simple matière première qu’on peut extraire et exploiter pour en tirer un profit, bien que ce soit ainsi que nous soyons considérés par beaucoup, beaucoup d’employeurs. Ce que je veux dire c’est, si nous appliquons effectivement les principes de l’équité en matière d’emploi, alors pourquoi quelqu’un en serait-il exclu?

Carol Agócs : Voilà ce que je voulais dire lorsque je demandais qu’on agisse au niveau provincial, parce dans notre système fédéral, il y a des emplois qui relèvent de la compétence fédérale et d’autres qui relèvent de la compétence provinciale, et quiconque n’est pas régi par la réglementation fédérale l’est pas la réglementation provinciale. Il ne peut y avoir plus d’employeurs assujettis à la loi fédérale qu’il n’en existe dans le champ de compétence fédérale. Si nous voulons qu’un plus grand nombre d’employeurs soient assujettis à la loi, il nous faut des lois au niveau provincial, ce qui est un peu étrange dans notre système canadien, mais c’est une réalité.

Larry Rousseau : Ça éviterait aussi les échappatoires du genre qui permettent aux gens de dire : « Eh bien, vous savez quoi, nous allons nous constituer en vertu des lois provinciales, afin de ne pas être assujettis aux exigences fédérales. » C’est une pratique qu’on observe souvent également.

Malinda Smith : C’est pour cette raison que je pense que toute institution, que ce soit un collège, une université, un cégep ou autre, qui reçoit des fonds fédéraux pour la recherche devrait, à mon avis, être tenue de se doter d’un plan d’équité en matière d’emploi qui couvrirait toutes les situations. Cela éviterait de plonger dans le dilemme fédéral contre provincial, l’éducation étant du ressort des provinces. Par ailleurs, en ce qui concerne la collecte de données, nous devons également nous pencher sur les moyens pris pour affaiblir les commissions des droits de la personne à certains endroits, dans la mesure où elles ont différentes exigences en matière de collecte de données, par exemple les données fondées sur la race. Certaines universités contournent l’exigence de recueillir des données par ce mécanisme. Il doit y avoir un mécanisme autre que le mécanisme provincial, par contre, pour permettre aux universités, aux collèges et aux cégeps de se conformer.

Pat Armstrong : Merci. Peut-être devrais-je vous donner à chacun la parole une dernière fois. Le temps file et je suis certaine qu’il y aurait matière à poursuivre la discussion, surtout compte tenu du fait que nous avons reçu beaucoup de commentaires et de questions. Commençons par vous, Larry.

Larry Rousseau : Merci. Je pense que je vais me contenter des tous derniers points abordés au sujet de la pertinence d’étendre l’équité en matière d’emploi aux groupes qui ne sont pas désignés. Je pense que, là encore, si nous appliquons les principes en cause, nous réussirons à couvrir une bonne partie de ce qui reste, car avec ces principes, nous essayons d’éliminer les obstacles, en particulier les obstacles systémiques qui existent. Nous essayons aussi d’éliminer ces plafonds. Lorsque nous aurons une culture de l’emploi qui fera en sorte que nous réagirons immédiatement à une question du genre : qu’est-ce que l’égalité dans ce contexte? Comment allons-nous l’atteindre?, nous poserons alors les questions qui s’imposent au sujet de l’âgisme. Nous poserons les questions sur la précarité. Nous poserons toutes les questions nécessaires pour faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte.

Carol Agócs : Je suis d’accord avec Larry sur ces points. Le fait est qu’à l’heure actuelle, nous avons la possibilité d’inciter le gouvernement fédéral à reconnaître la valeur d’une refonte de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Celle-ci pourrait alors servir de modèle aux autres initiatives de transformation de l’équité qui viendront après coup. Faisons de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, une fois encore, ce texte législatif pivot qu’elle était en 1986, lorsqu’elle a été adoptée pour la première fois et que divers pays européens ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande et d’autres encore se tournaient vers le Canada pour suivre son exemple sur cette question particulièrement importante. Je ne pense pas qu’ils nous considèrent encore comme un modèle. Nous devons passer à la vitesse supérieure et devenir des chefs de file dans la route vers l’équité.

Malinda Smith : Merci. Je pense que nous devons exiger des comptes des instances universitaires. Je pense que nous devons le faire par l’intermédiaire d’organismes comme Universités Canada. Je sais que l’ACPPU fait son travail. Je pense qu’Universités Canada doit être… c’est l’organisme des présidents d’université. Je sais que seulement 60 % des présidents ont répondu au sondage de 2019. Je pense que c’est important. J’aimerais remercier les organismes subventionnaires, car je pense qu’on continue de soutenir l’équité et de se mobiliser pour elle justement parce qu’ils l’ont encouragée.

J’aimerais aussi saluer le travail des huit femmes à l’origine de l’enquête liée aux droits de la personne entourant le programme des Chaires de recherche du Canada. Des femmes comme Audrey Kobayashi et la défunte Wendy Robbins, et d’autres qui se sont mobilisées. C’était une démarche vraiment, vraiment importante. Encore une fois, je pense que c’est le militantisme de ces huit femmes qui ont énergisé l’équité en matière d’emploi et même fait en sorte qu’il en soit question dans les universités aujourd’hui. C’est grâce à ce genre d’effort. Félicitations aux organismes subventionnaires et aux huit femmes, les célèbres huit.

Pat Armstrong : Félicitations à tous les trois pour vos excellents exposés également. Je vous ai entendu dire que les commissions étaient importantes, que la Loi était importante, mais rien de tout cela n’aurait été possible sans une action sociale et les pressions exercées par les mouvements sociaux. Pas seulement pour faire adopter la Loi, mais aussi pour la faire appliquer. Pour ce faire, nous avons besoin de données qui nous fournissent l’information que nous souhaitons, et nous avons besoin de mécanismes d’application de la loi qui sont rigoureux et clairs. J’espère que je ne déforme les propos de personne. Voici comment je résumerais les nombreuses choses que nous avons entendues. Merci à tous pour vos excellentes présentations.