
Par Randi Weingarten
Cet article est adapté d’un discours prononcé lors de la Conférence de l’ACPPU et de l’Internationale de l’Éducation sur la liberté académique qui s’est tenue à Calgary les 7 et 8 février 2025.
Aux États-Unis, nous sommes confrontés à une grave menace autoritaire. Le président Donald Trump met rapidement en œuvre les diktats destructeurs, déshumanisants et antidémocratiques du Projet 2025, le manuel de jeu autoritaire pour son second mandat.
Elon Musk s’occupe de son propre portefeuille (certains diraient une présidence fantôme) avec l’impunité d’un autocrate et la confiance d’un oligarque. Elon Musk et ses assistants mènent des attaques inconsidérées contre des recherches vitales, accèdent à des informations personnelles sensibles hautement confidentielles et purgent la fonction publique d’experts indépendants.
L’American Federation of Teachers (AFT) utilise tous les outils dont elle dispose pour défendre la démocratie américaine — dans les tribunaux, dans l’opinion publique, au Congrès, par le biais du commerce et en faisant cause commune avec des partenaires communautaires.
La protection de la liberté d’expression est un élément clé de notre combat et, parce que nous sommes un syndicat d'éducatrices et d'éducateurs, la défense de la liberté académique et intellectuelle l’est tout autant. Il y a plus d’un siècle, le slogan fondateur de l’AFT était « La démocratie dans l’éducation, l’éducation pour la démocratie ». Nous comprenons que la liberté d’expression et de pensée, ainsi que la liberté de poursuivre et de développer de nouvelles connaissances au service du bien public, est d’une importance vitale dans nos salles de classe, dans les amphithéâtres et dans les laboratoires de recherche.
La liberté académique n’est pas une sorte d’avantage spécial. Elle est la condition nécessaire pour expérimenter, innover, prendre des risques et remettre en question l’orthodoxie. Malheureusement, dans le contexte illibéral actuel, la liberté académique est également nécessaire pour enseigner une histoire honnête, pour défendre des vérités scientifiques établies et pour lutter contre l’exclusion et la discrimination des communautés marginalisées.
Les mêmes droits que ceux dont jouissent les citoyennes et citoyens dans une société libre et démocratique — liberté de pensée, d’expression, de presse et d’association, droit de se réunir et de protester pacifiquement, droit à une procédure régulière et protection contre les mesures disciplinaires arbitraires et capricieuses — devraient être garantis dans les établissements académiques pour le personnel académique, les employées et employés et les étudiantes et étudiants.
Ces droits impliquent la responsabilité de respecter les droits des autres. Par exemple, il n’est pas acceptable d’insister sur son propre droit à accueillir des oratrices et des orateurs sur un campus tout en cherchant à déplateformiser des oratrices et orateurs du campus avec lesquels on n’est pas d’accord.
Au milieu de la vague de protestations sur les campus après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et la guerre de Gaza qui s’en est suivie, l’AFT a réaffirmé son engagement en faveur de la liberté d’expression et de la protestation pacifique et non violente, et a réitéré sa condamnation de l’antisémitisme et des discours de haine et de violence contre les musulmans et les arabes. Nous devons condamner la haine et la violence et défendre la liberté académique et la liberté d’expression.
Il est clair qu’il faut faire davantage pour que toutes les étudiantes et étudiants, tous les membres du personnel académique et les employées et employés se sentent en sécurité et bienvenus sur les campus et qu’elles ou ils puissent interagir au-delà des différences. Les collèges et les universités devraient être des lieux de débat libre et ouvert, où des sujets difficiles — et parfois douloureux — et des idées opposées devraient être discutés et débattus dans le respect de la diversité de pensée, de la dignité et de l’humanité de chacun.
Contrairement aux affirmations de certains selon lesquelles les universités sont des bastions d’endoctrinement, l’objectif de l’éducation n’est pas de mettre toutes les étudiantes et tous les étudiants sur la même longueur d’onde sur le plan politique ou idéologique. Il s’agit de développer leur capacité à analyser, critiquer et contextualiser les informations — à penser par euxmêmes. L’esprit critique est le muscle le plus important dans l’exercice de la démocratie.
Des forces affaiblissent la liberté académique
La démocratie américaine et la liberté académique dans les collèges et universités des États-Unis sont menacées simultanément.
La tendance au désinvestissement public depuis 50 ans dans nos universités et collèges publics a conduit à une augmentation des frais de scolarité et des droits d’inscription pour les étudiantes et étudiants, à des coupes dans les programmes académiques, à des fermetures d’établissements et au déclin des postes stables et à temps plein en milieu académique.
La surveillance politique et les attaques contre les universités et les collèges se sont intensifiées pendant la période précédant l’élection présidentielle de 2024. Les républicains au Congrès ont convoqué les rectrices et recteurs d’université à des audiences de type McCarthy sur leur gestion des manifestations contre la guerre à Gaza. Les principales législatrices et principaux législateurs républicains ont menacé de retirer des milliards de dollars de financement fédéral aux universités qui ont autorisé des manifestations propalestiniennes sur leurs campus.
M. Trump s’en prend également aux universités américaines, qu’il accuse d’être « dominées par des maniaques marxistes et des fous ».
Au cours de la première semaine de son second mandat, M. Trump a émis des décrets qui ont créé une incertitude et une anxiété considérables pour les chercheuses et chercheurs et les scientifiques qui dépendent des subventions fédérales pour financer leurs recherches et leurs moyens de subsistance.
À cette litanie de défis s’ajoute un problème de longue date auquel nous devons faire face : la perception de l’enseignement postsecondaire comme élitiste.
Comment défendre et renforcer la liberté académique?
Voici ce que je pense de ce que nous devons faire pour garantir la protection du travail académique : nos efforts doivent s’articuler autour de l’objectif central de l’enseignement postsecondaire — en fait, autour de l’objectif de la connaissance —, c’est-à-dire faire progresser les connaissances, favoriser la mobilité sociale, créer des opportunités et s’assurer que la société en bénéficie. Je pense que la plupart des Américaines et des Américains soutiennent généralement ces objectifs.
Mais nous devons être lucides. La plupart des gens aux États-Unis estiment que le concept de permanence de l’emploi a des relents de supériorité (« nous sommes meilleurs que vous »). Un aperçu des données de l’AAUP montre que « le soutien à la liberté d’expression du personnel académique a chuté ces dernières années, en particulier parmi celles et ceux qui ont des opinions conservatrices ». Si nous voulons enrayer l’érosion continue de la liberté académique, nous devons l’envisager différemment.
Le défi que je lance est celui de l’ouverture. Nous devons définir la liberté académique de manière à ce qu’il soit explicitement clair qu’elle implique les droits des étudiantes et étudiants à apprendre et les droits des citoyennes et citoyens à être informés. Le droit des collectivités à avoir un meilleur avenir, non seulement intellectuel mais aussi économique.
Nous devons faire cause commune avec l’économie locale, les entreprises locales. Souvent, l’université ou le collège est le moteur d’une économie locale. Nous devons établir des relations. Offrir des formations professionnelles, des stages. Il est clair que nous avons besoin les uns des autres.
C’est également vrai au niveau national. Les coupes de l’administration Trump dans les Instituts nationaux de la santé, visant à abolir le financement aux universités, décimeront la recherche pour guérir des maladies mortelles et empêcheront de faire d’autres avancées économiques, sanitaires et sociales.
Nous devons démontrer le lien direct entre le bienêtre économique et communautaire et les objectifs de l’enseignement postsecondaire. Si notre argument en faveur de la liberté académique consiste à dire qu’il s’agit uniquement de la liberté d’une élite, il échouera.
Nous devons montrer que la liberté d’apprentissage des étudiantes et étudiants est mise à mal lorsque les éducatrices et éducateurs ont trop peur d’autoriser la discussion sur des « concepts qui divisent » vaguement définis. Nous devons montrer que l’interdiction d’enseigner un récit complet et honnête de l’histoire de notre nation constitue une atteinte à la liberté d’enseignement. Dans notre société pluraliste, il est totalement inconcevable de limiter la discussion sur le racisme, le sexisme et d’autres préjudices sociétaux.
Nous vivons un moment dangereux, où des dirigeantes et dirigeants démocratiquement élus aux États-Unis restreignent activement les libertés. Regardez le torrent d’attaques contre les droits, les libertés et les populations vulnérables. La liberté de reproduction, les immigrés et la communauté LGBTQIA+ sont pris pour cible. Et, oui, le ciblage de l’éducation.
Les syndicats du secteur de l’éducation doivent être les principaux défenseurs de la liberté académique. Nous ne pouvons pas nous en remettre aux administratrices et administrateurs, dont plusieurs ont reculé devant les menaces politiques. Nous ne pouvons pas nous en remettre aux gouvernements, car à de nombreux endroits, ce sont eux qui posent problème.
Pour garantir, protéger et promouvoir ces droits et ce bien commun, nous devons agir collectivement. C’est la raison pour laquelle l’AFT se mobilise de manière aussi agressive, que nous luttons pour une véritable sécurité d’emploi pour le personnel académique occupant des postes précaires et que nous négocions des protections pour la liberté académique dans nos conventions collectives. C’est pourquoi il est si important de remporter des élections.
Tout au long de son existence, l’AFT s’est battue pour la liberté d’expression, pour la liberté académique et intellectuelle dans l’éducation. Nous poursuivrons ce combat, aux côtés de nos alliés, parce qu’il est au cœur même de ce que nous sommes en tant que syndicat.
Randi Weingarten est présidente de l’American Federation of Teachers, qui représente 1,8 million de travailleuses et travailleurs syndiqués dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la fonction publique.