Par Peter McInnis
Pour des raisons évidentes, le 11 septembre demeure un jour tristement célèbre que l’on commémore tous les ans. Mais un autre événement notoire, également survenu un 11 septembre, mérite d’être souligné — le 50e anniversaire du coup d’État chilien de 1973.
Des décennies de progrès civils et économiques réalisés graduellement se sont soudainement évaporées quand les forces militaires dirigées par le général Augusto Pinochet ont renversé le gouvernement Unidad Popular élu démocratiquement et ont assassiné le président Salvador Allende. Le coup d’État est survenu dans le contexte de décennies d’ingérence subversive non déguisée de la part des gouvernements occidentaux, avec à leur tête les États-Unis.
Les détails de l’« Opération Condor » menée dans toute l’Amérique du Sud méritent d’être examinés davantage, mais ce mois de septembre 1973, la population chilienne a été soumise à une « guerre d’anéantissement » et à un régime autoritaire déterminé à user de violence pour se débarrasser de toute voix d’opposition. Le bain de sang qui a suivi a causé la mort de plus de 3 000 âmes, ainsi que la détention, la torture et la « disparition » de 28 000 personnes additionnelles, avant le retour de la démocratie en 1990.
Sans surprise, la junte du général Pinochet s’en est immédiatement prise au milieu académique. De nombreux professeures et professeurs de l’Université du Chili, située dans la capitale de Santiago, et d’autres établissements d’enseignement ont rapidement compris que leur vie et celle de leur famille étaient gravement menacées. Celles et ceux qui ont échappé aux détentions massives initiales dans le stade national ou aux incarcérations subséquentes avaient prévu de fuir rapidement le pays. Beaucoup se sont retrouvés apatrides, en quelque sorte, puisque seulement trois pour cent de la population chilienne détenaient un passeport.
Certaines des personnes cherchant refuge ont rejoint l’Argentine voisine puis d’autres nations. Un nombre considérable de personnes a choisi de rejoindre le Canada. Ces réfugiés ont éventuellement atteint plus de 6 000 personnes.
Avant le coup d’État, le milieu académique canadien s’était montré préoccupé par la détérioration de la situation au Chili. Après le 11 septembre 1973, il s’est joint à d’autres groupes laïques et confessionnels pour réclamer l’accueil d’urgence de réfugiés.
Comme le rapportait le Bulletin de l’ACPPU de l’époque, notre association faisait partie des voix qui appelaient à l’action. En octobre, l’ACPPU a adopté une résolution exigeant du gouvernement qu’il étende aux réfugiés chiliens la politique d’ouverture qu’il avait adoptée précédemment à l’endroit des personnes fuyant les crises en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Ouganda. Les membres de l’ACPPU et leurs associations de personnel académique, et plus particulièrement celles des Universités York et Western, ont également réclamé des mesures concrètes dans le cadre des obligations envers le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), desquelles le Canada était signataire.
Malgré tous les efforts de l’ACPPU, du Comité inter-Églises sur le Chili, du Groupe de travail sur l’Amérique latine et de la Coalition on Canadian Policy toward Chile, la position initiale du Canada sur le plan diplomatique était surtout marquée par l’indifférence. Dans une série de télégrammes adressés à Ottawa, l’ambassadeur canadien au Chili, Andrew Ross, conseillait au gouvernement d’éviter d’accueillir des réfugiés, qu’il qualifiait de « bas-fonds de la gauche latino-américaine ». Non sans rappeler l’effroyable formule « aucun, c’est déjà trop » des fonctionnaires canadiens à l’égard des réfugiés juifs avant la Seconde Guerre mondiale, Andrew Ross disait de la junte de Pinochet qu’elle se livrait au nettoyage nécessaire des dissidents politiques et qualifiait d’exagérées les allégations de meurtres généralisés.
D’autres diplomates canadiens ont été touchés par la crise humanitaire et ont tenté d’offrir tout le soutien qu’ils pouvaient. À la fin septembre 1973, le gouvernement canadien a pris la décision mal avisée de reconnaître officiellement le régime Pinochet.
Alors que les perspectives des réfugiés chiliens éventuels au Canada semblaient catastrophiques, l’intervention personnelle de la veuve de Salvador Allende auprès du premier ministre Pierre Trudeau, jumelée à la fuite embarrassante des télégrammes de l’ambassadeur Ross, a mené à la création d’un programme temporaire d’accueil de réfugiés politiques du nom de Mouvement spécial Chili.
La situation au Chili a également eu une influence sur la Fondation de l’ACPPU pour les réfugiés, créée dans les années qui ont suivi pour aider dans un premier temps les personnes fuyant les conséquences de la guerre du Vietnam. Les universitaires canadiens soutiennent depuis longtemps les personnes frappées par la guerre et les bouleversements civils. L’ACPPU a offert son assistance aux membres du milieu académique de pays tels que la Syrie, l’Afghanistan, l’Argentine, le Guatemala, la Colombie, l’Afrique du Sud et l’Iran, ainsi qu’à leurs familles.
Aujourd’hui, face à l’hostilité internationale grandissante envers les personnes réfugiées, les universitaires canadiens doivent garder en tête leur devoir d’appuyer leurs collègues dans la défense de la démocratie, de la liberté académique et des droits de la personne.