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Entrevue / Shelly Johnson / Mukwa Musayett

Entrevue / Shelly Johnson / Mukwa Musayett

Shelly Johnson / Mukwa Musayett (qui signifie « qui marche avec les ours ») est d'ascendance saulteaux et norvégienne, en plus d’être la première titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'autochtonisation de l'enseignement supérieur. Elle est professeure agrégée à la faculté d'éducation et de travail social de l'Université Thompson Rivers.

Que signifie pour vous l'autochtonisation de l'enseignement supérieur?​

Ma compréhension de l'autochtonisation diffère de la façon dont elle est mise en œuvre dans les établissements postsecondaires canadiens et autochtones. L'autochtonisation de l'enseignement supérieur signifie que l'ensemble du corps enseignant et du personnel — ainsi que les syndicats d'étudiantes et d'étudiants, les fondations universitaires, les ressources humaines et les équipes de direction — définissent des buts, des objectifs et des échéanciers visant à intégrer de manière significative les connaissances autochtones et les pratiques et protocoles d'autochtonisation en collaboration avec les représentantes et les représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits des territoires locaux.

Pour certains établissements, l'autochtonisation se résume au recrutement et à l'embauche d'un nombre limité de professeures et de professeurs et d'employées et d'employés autochtones pour enseigner, faire de la recherche et travailler avec les étudiantes et les étudiants et les membres de la communauté. Ces établissements laissent généralement l'autochtonisation des cours, de la recherche et des services aux jeunes professeures et professeurs et employées et employés autochtones.

De nombreux établissements semblent n'avoir que peu ou pas d'attentes vis-à-vis des professeures et des professeurs allochtones en matière d'autochtonisation. Les professeures et les professeurs autochtones comptent pour environ 1,4 % de l’ensemble du corps enseignant dans les établissements postsecondaires canadiens, ce qui signifie que 98,6 % des professeures et des professeurs sont libres de ne pas autochtoniser leur travail.

Que peut faire le personnel universitaire, quelle que soit sa discipline, pour faciliter l’intégration des connaissances et des perspectives autochtones dans les établissements et les structures postsecondaires?

Ce travail doit commencer au sein de chaque discipline, en se posant les questions suivantes : Qui sont les absents de la table de décision? Pourquoi les peuples autochtones ne sont-ils pas là? Quels sont les obstacles à leur participation? Quelles mesures pouvons-nous prendre pour remédier à leur absence? Qu'avons-nous essayé de faire, et qu'est-ce qui a fonctionné ou non? Quelle est notre relation avec les peuples autochtones locaux? Y a-t-il de la confiance, du respect et de la réciprocité dans nos relations? Combien pourraient coûter certaines mesures pour faciliter leur participation et leur demander respectueusement conseil? Si notre établissement emploie un conseiller autochtone auprès du recteur et un autre auprès du vice-recteur, comment allons-nous soutenir la nomination d'une conseillère ou d'un conseiller autochtone auprès du président du syndicat des professeurs?

L'Université Thompson Rivers a pris des mesures récentes pour recruter et nommer une conseillère ou un conseiller autochtone auprès du président du syndicat des professeures et des professeurs. C'est peut-être la première fois qu'une association de personnel académique canadienne en fait autant.

Quelle est l'importance de la langue pour intégrer les connaissances et les perspectives autochtones dans l'enseignement supérieur?

Les langues autochtones des territoires des Premières Nations sur lesquels les universités et les collèges se sont établis sont un élément clé de l'autochtonisation de l'enseignement supérieur. De nombreux établissements proposent un certain niveau d'enseignement des langues autochtones au corps enseignant, au personnel et à la population étudiante. Une formation sur les langues autochtones est proposée dans certains établissements et est ouverte aux membres de la communauté ayant un passé familial ou communautaire en matière de pensionnats, de protection de l'enfance et d'adoption.

Ces cours ne sont pourtant pas gratuits pour les Autochtones qui ont perdu leur langue d'origine en raison des pensionnats canadiens, des politiques d'assimilation en matière de protection de l'enfance et/ou d'adoption — alors qu’ils devraient l'être. Proposer aux Autochtones des cours de langue autochtone sans frais pourrait être une façon pour les établissements de démontrer leur engagement envers la réconciliation.

Une autre initiative consisterait à exiger que chaque étudiante et étudiant suive un cours d'introduction à une langue autochtone. Il semble qu'il s'agisse d'un élément clé d'une réciprocité respectueuse, puisque tous les étudiantes et les étudiants doivent faire preuve d'une maîtrise de l'anglais pour obtenir leur diplôme.

Encore aujourd’hui, les peuples autochtones ne constituent qu’une faible proportion de la population étudiante et du personnel académique dans les établissements postsecondaires. Comment ces établissements peuvent-ils favoriser l'inclusion et la participation des Autochtones dans le secteur de l'enseignement supérieur?

Bien que l'écart entre le niveau de scolarité des étudiantes et des étudiants autochtones et celui des allochtones se réduise, il reste important. En matière de politiques fédérales, les étudiantes et les étudiants autochtones qui grandissent dans les réserves du Canada reçoivent moins de soutien financier que ceux et celles en zones urbaines.

L'annonce de la découverte de milliers de tombes potentielles dans un nombre croissant d'anciens pensionnats signifie que l'héritage de la peur et de la méfiance à l’égard des établissements d'enseignement canadiens est une histoire et une mémoire qui continue de traumatiser les étudiantes et les étudiants, les familles et les communautés autochtones. Les dirigeants des établissements d'enseignement postsecondaire doivent s'engager à être présents et à rendre des comptes dans les forums communautaires et à entendre les questions de la communauté concernant l'établissement d’enseignement et l'histoire qu'il représente. Lorsque les familles et les communautés autochtones partagent leurs expériences avec les dirigeants de l’établissement, ces derniers doivent s'engager à résoudre les problèmes et à y donner suite.

Plus précisément, lorsqu’il n’y a pas de traité concernant les terres sur lesquelles l’établissement d’enseignement a été construit, comme c'est le cas pour la majeure partie de la Colombie-Britannique, des bourses d'études doivent être offertes aux étudiantes et aux étudiants autochtones afin qu'ils puissent fréquenter l'établissement, avec des aides à la subsistance et à la garde d'enfants comme éléments clés. Des mentors en milieu éducatif doivent être désignés pour chaque étudiante et étudiant autochtone afin de les soutenir jusqu’à l’obtention de son premier diplôme.

Dans les conventions collectives, les syndicats et la direction de l’université doivent encourager les membres du personnel à orienter leurs avantages éducatifs (généralement réservés à leurs propres enfants) vers les étudiantes et étudiants autochtones qui remplissent les conditions d'admission.

Quelles mesures les membres du personnel académique et leurs associations peuvent-ils prendre pour favoriser la création d’un environnement où la décolonisation, l'autochtonisation et la réconciliation sont considérées comme vitales dans tous les aspects d'un établissement d’enseignement postsecondaire?

Pour commencer, il faut comprendre que si les établissements d’enseignement et les syndicats s'engagent à améliorer le niveau de scolarité des Autochtones et à renforcer l’éducation pour tous, il faudra prévoir des fonds supplémentaires pour l'autochtonisation dans les budgets à venir. Il s'agit de créer des programmes d'études et de recherche respectueux, qui sont significatifs pour les peuples autochtones et qui sont basés sur les connaissances et la participation des communautés autochtones.

Les conventions collectives doivent permettre aux syndicats, à l’administration de l'université et aux leaders autochtones de déterminer conjointement les buts, les objectifs, les initiatives et les délais de décolonisation, d’autochtonisation et de réconciliation au sein de l'établissement.

L'expertise autochtone nécessitera des fonds. Il n'est plus acceptable de faire porter l'entière responsabilité des efforts d'autochtonisation à de jeunes professeures et professeurs autochtones surchargés, sans financement supplémentaire ni soutien pour mettre en œuvre le changement. Si les établissements d’enseignement et les communautés autochtones n’ont pas la volonté de s'engager dans un travail commun significatif, et si les établissements ne prennent aucun engagement financier, alors ces derniers doivent admettre que la rhétorique de l'autochtonisation est à l’ordre du jour de leur organisation. Ce changement nécessitera des fonds supplémentaires pour créer des programmes d'études et de recherche autochtones et pour accompagner les professeures et professeurs, les employées et employés et les étudiantes et étudiants autochtones de chaque établissement.

Aucun syndicat, aucune administration, ni aucune communauté autochtone ne pourra y arriver seul. Il doit s'agir d’un engagement commun de toutes les parties, soutenu par les administrations locales, municipales, provinciales et fédérales.

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