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La longue marche vers l’équité

La longue marche vers l’équité

iStock.com / vikas2c

Seize ans plus tard, on peut dire que ce voyage a été tout sauf un long fleuve tranquille. La ligne d’arrivée a été franchie en juillet dernier, avec l’annonce par le gouvernement fédéral de la conclusion d’une entente de règlement pour accroître l’équité dans le Programme de chaires de recherche du Canada (PCRC).

« Cette entente aura pour effet d’adapter rapidement le Programme à toute la diversité qui caractérise actuellement le tissu social du Canada. Elle traduit une vision qui changera la donne pour les universités et d’autres institutions canadiennes », souligne l’une des plaignantes, la sociologue Susan Prentice.

Le PCRC a vu le jour en l’an 2000. Cette initiative conjointe des trois organismes subventionnaires — le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et les Instituts de recherche en santé du Canada — s’inscrivait au cœur de la stratégie nationale du gouvernement fédéral visant à faire du Canada « l’un des meilleurs pays en matière de recherche et de développement ».

Plus de 2 000 professorats de recherche permanents, appelés « chaires de recherche du Canada », devaient être créés partout au pays dans les établissements admissibles conférant des grades. Une mesure requérant aujourd’hui un investissement annuel de 300 millions de dollars. Toutefois, dans les années qui ont suivi sa mise sur pied, le PCRC a été la cible de maintes critiques, dont celles, particulièrement vives, de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU).

« La formule de financement posait problème, car le gros des fonds allait injustement aux grands établissements d’enseignement axés sur la recherche et le processus d’attribution ne comportait aucune obligation de rendre des comptes ou de transparence qui aurait permis de savoir à quelles universités les chaires étaient accordées et pourquoi, explique le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. Le PCRC n’avait pas encore soufflé sa première chandelle que le Conseil de l’ACPPU adoptait déjà une motion dénonçant son opacité. »

En 2003, devant les inégalités manifestes, huit femmes décidaient de porter plainte auprès du PCRC, avec le soutien juridique de l’ACPPU. Ce geste d’éclat a marqué le début d’un processus d’enquête et de médiation d’une durée de trois ans, couronné par la signature d’une première entente en 2006. Au départ, cette entente ciblait essentiellement « quatre groupes désignés », soit les femmes, les personnes handicapées, les peuples autochtones et les minorités visibles.

Pour la première fois, le Programme serait tenu d’encourager les candidats ou candidates à une chaire ou les titulaires d’une chaire à déclarer volontairement leur appartenance à un ou plusieurs groupes désignés et de leur donner les moyens de le faire. Les renseignements devaient être recueillis et conservés et les universités devaient établir des cibles pour assurer la représentation des membres de ces groupes. Les processus de recrutement ont également été examinés et il a été exigé dans l’entente de règlement que les processus de recrutement et de mise en candidature soient dorénavant « transparents, ouverts et équitables », « se conforme[nt] aux mesures de protection et aux principes adoptés par les universités dans le cadre de leurs pratiques de recrutement (telles que décrites dans les conventions collectives ou autres documents équivalents) » et comprennent des éléments comme des annonces publiques comportant un énoncé d’engagement relatif au respect de l’équité, des encouragements et des mesures de recrutement actives destinés aux membres des groupes désignés. Une foule d’autres mesures étaient également prévues.

L’entente de 2006 constituait, en théorie, une avancée dans la promotion des droits des quatre groupes, mais l’encre était à peine sèche que son interprétation et son application posaient des problèmes.

Elle exigeait qu’« [a]u plus tard 180 jours après l’établissement par l’université de cibles de représentation des membres des quatre groupes désignés […] le Programme consent[e] à mener une analyse comparative entre les sexes fondée sur la diversité du Programme ».

Cela a été fait, mais une exigence n’avait toujours pas été remplie : ni la CCDP ni les huit plaignantes n’avaient été consultées dans la sélection du spécialiste embauché pour mener l’examen ou dans l’élaboration de cadres de référence pour les analyses.

En 2010, le gouvernement fédéral dirigé par le conservateur Stephen Harper abandonnait le formulaire de recensement détaillé obligatoire, mettant ainsi fin à la collecte de données de qualité pouvant être utilisées pour établir la représentation des quatre groupes dans la population de chercheurs canadiens.

Par conséquent, même si le PCRC avait l’obligation, en vertu du paragraphe 8 de l’entente de règlement, de veiller « à ce que les cibles établies pour la représentation des membres des quatre groupes désignés [dans le Programme] soient mises à jour ou précisées au moins tous les trois ans », il ne l’a pas fait après l’abandon du formulaire de recensement détaillé.

Ce n’est pas tout. Les opposants au PCRC étaient de plus en plus déçus par l’absence de progrès accomplis pour concrétiser l’intention de l’entente proclamée par toutes les parties, à savoir « rapidement régler les questions d’équité […] de manière prospective ». Les profils des candidats retenus par le Programme n’étaient pas fondamentalement différents et la représentation du Programme était en porte-à-faux avec la diversité de la communauté de chercheurs au pays.

« Les plaignantes n’étaient pas satisfaites de la méthodologie du Programme pour déterminer la base de calcul des cibles. Elles voulaient que les cibles soient fonction du pourcentage des quatre groupes dans l’ensemble de la population canadienne et non seulement de la communauté universitaire, explique l’avocat principal de l’ACPPU, Peter Barnacle. Nous n’étions pas contents non plus. Jusque-là, nos interventions sur les problèmes liés à l’application de l’entente de règlement avaient été faites de façon plutôt discrète, mais nous avons bien vu qu’il était temps de faire monter la pression d’un cran. »

Il a été décidé, ajoute-t-il, que la CCDP devait engager, avec le consentement des plaignantes, une procédure judiciaire afin que l’entente de règlement soit assimilée à une ordonnance de la Cour fédérale, en vue de la rendre exécutoire. La Cour a rendu l’ordonnance en mai 2017.

En 2015, un gouvernement libéral était élu; il a vite rétabli le formulaire de recensement détaillé et commencé à mettre en place des initiatives visant à accroître l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) dans le secteur de l’éducation et de la recherche universitaires.

En mai 2017, parallèlement à la procédure — fructueuse — de la CCDP et à la comparution des plaignantes devant la Cour fédérale, le gouvernement lançait son Plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion. Les établissements doivent dorénavant se doter d’un plan d’EDI, publier l’information relative à la gestion de leurs chaires sur leurs pages web ayant trait à leur obligation de reddition de comptes et de transparence et atteindre leurs cibles avant décembre 2019.

Tandis qu’une ordonnance de la Cour donnait à l’entente de 2006 sa pleine force exécutoire, l’ACPPU a continué de négocier pour élargir les conditions rattachées à l’établissement des cibles dans l’entente signée par les plaignantes. En juin 2019, toutes les parties ont approuvé un règlement comportant de nouvelles conditions en sus de celles de 2006, notamment l’instauration d’un cadre d’action étalé sur dix ans qui permettrait au PCRC de refléter la diversité de la population canadienne, la fixation de cibles institutionnelles pour améliorer la représentation des quatre groupes désignés, mais aussi pour inclure les membres de la communauté LGBTQ+.

« Il ressort des modifications apportées au programme des CRC que la sous-représentation n’était pas la conséquence d’un manque de candidats qualifiés, mais plutôt de principes ou de pratiques de discrimination et d’exclusion tant dans la société que dans le secteur académique comme tel. En éliminant ces obstacles, nous pourrons mieux encourager l’excellence, l’innovation et l’équité dans le milieu de la recherche », insiste David Robinson.

« Une fois l’accord pleinement en vigueur, la représentation des groupes désignés reflétera leur représentation au sein de la population canadienne et non pas leur seule représentation dans les universités, signale la professeure en science politique et coplaignante Marjorie Griffin Cohen. C’est un élargissement important du concept d’égalité, quelque chose qui a le pouvoir d’entraîner des changements significatifs, particulièrement si, dans le futur, son champ d’application est étendu à d’autres groupes et, plus largement, aux établissements publics. »

Pour Marie-Claude Landry, présidente de la CCDP, l’entente de règlement est une question d’équité.

« Il s’agit d’un avancement significatif afin de s’assurer que le domaine de la recherche au Canada reflète la riche diversité du Canada et qu’il tire profit des talents et des perspectives des personnes qui se sont antérieurement vues refuser d’être présentes à la table », affirme-t-elle. Cependant, les personnes concernées décèlent entre les lignes les indices de petites histoires personnelles : la désignation du nouveau « prix Robbins-Ollivier » et le nombre de plaignantes, qui sont passées de huit dans l’entente de 2006, à sept dans l’ordonnance de 2017 de la Cour fédérale et à six seulement dans l’addenda de 2019. Les six signataires ont rédigé une lettre, incluse dans l’addenda, « en l’honneur de leurs collègues disparues, Wendy Robbins et Michèle Ollivier ». Elles y font part de leur point de vue concernant l’addenda de 2019 et y expliquent le contexte dans lequel il s’inscrit, « compte tenu de l’iniquité systémique continue au sein du milieu universitaire ».

Au travers de certains passages, on distingue des histoires individuelles : les « multiples obstacles qui freinent la réussite » des universitaires dans les groupes désignés; les conversations « fructueuses » avec les personnes chargées de l’administration du PCRC, qui se sont montrées disposées à écouter le point de vue des plaignantes et à répondre « de manière significative et constructive »; et les « initiatives symboliques importantes. Par exemple, le Prix d’excellence en matière d’équité a été renommé en reconnaissance du rôle de leaders qu’ont joué Wendy Robbins et Michèle Ollivier, pour qui nous avons eu beaucoup d’affection et de respect ».

« Le milieu de la recherche canadien a une dette énorme envers ces huit femmes qui se sont manifestées il y a 15 ans pour contester la partialité systémique du programme des CRC », conclut David Robinson.

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Les huit professeures qui ont initialement contesté le programme des CRC devant la Commission canadienne des droits de la personne avec le soutien juridique de l’ACPPU sont Marjorie Griffin Cohen, Louise Forsyth, Glenis Joyce, Audrey Kobayashi, Shree Mulay, Susan Prentice et les regrettées Wendy Robbins et Michèle Ollivier.

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