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Le mot du président / Les vraies chaînes liant les mains du personnel académique

Le mot du président / Les vraies chaînes liant les mains du personnel académique

James Compton

Par James Compton

— Les universitaires sont formés à être libres, et partout ils sont dans les fers. C’est du moins l’avis du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford. Qu’il ait lu ou non la première ligne célèbre de l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau Du contrat social, il a manifestement décidé que les enseignants de sa province sont des bagnards privés de la liberté d’expression.

Qu’à cela ne tienne, son gouvernement a donné mandat aux collèges et universités sur le territoire ontarien de mettre en place une politique sur la liberté d’expression d’ici janvier 2019. Les établissements qui ne se conformeront pas et qui ne soumettront pas au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur le rapport annuel exigé sur leurs progrès en la matière s’exposeront à des sanctions. Le message sous-jacent : soyez libres ou subissez les foudres de l’État. Contradictoire, vous dites?

L’autonomie des universités est le moteur de ces espaces ouverts à la libre circulation des idées. Des partisans de la nouvelle politique ont affirmé que le gouvernement provincial respecte l’autonomie de chaque université en lui ordonnant (et donc, en lui permettant) de définir son propre mécanisme de protection de la liberté d’expression. C’est trop peu. Ce n’est pas à coups de lois que l’on soutient l’autonomie institutionnelle.

Ce dictat gouvernemental est né d’une simple supposition : des gauchistes intolérants prendraient d’assaut la liberté d’expression sur les campus de la province. De nombreux médias relaient régulièrement cette affirmation « du gros bon sens », disent-ils. On ne peut nier que des incidents notoires se sont produits, qu’ont d’ailleurs invoqués la ministre ontarienne de la Formation et des Collèges et Universités, Merrilee Fullerton, et ses disciples pour justifier l’action du gouvernement. J’avance plutôt que c’est l’arbre qui cache la forêt, car de plus grandes menaces pèsent sur la liberté académique dans les campus canadiens : la réduction du financement public, la multiplication des partenariats avec le secteur privé et la croissance du travail académique précaire.

Face au phénomène bien documenté de la diminution du soutien public à l’éducation postsecondaire, les collèges et les universités ont dû diversifier leurs sources de revenus et, parallèlement, comprimer leurs coûts. Les universités se sont ainsi de plus en plus associées à des entreprises pour mener des projets de recherche. Comme je l’ai déjà souligné, le rapport publié par l’ACPPU en 2013 sous le titre Ouvertes au monde des affaires a établi comment « les universités ont avalisé diverses violations de leur intégrité académique » en permettant à « des donateurs privés et à des entreprises partenaires de faire leurs des rôles qui incombaient antérieurement, et à juste titre, au personnel académique ». Le journal The Guardian n’a pas fait dans la dentelle en déclarant que « le détournement de la recherche académique par l’industrie des énergies fossiles […] menace de freiner la lutte contre le changement climatique ».

Les collèges et les universités ont trouvé la recette pour comprimer leurs coûts : recruter essentiellement des enseignants contractuels auxquels ils offrent une rémunération dérisoire. Dans un récent sondage, l’ACPPU estime que, de 2005 à 2015, le nombre de professeurs d’université travaillant à temps partiel ou une partie de l’année a augmenté de 79 %. Le sondage a découvert que les enseignants contractuels souffrent de plusieurs « dimensions d’insécurité », notamment au chapitre de l’emploi et du revenu. Seulement 17 % des répondants ont souscrit à l’énoncé « J’ai assez confiance en mes possibilités d’être réembauché pour prendre des engagements financiers importants (p. ex. acheter une maison). » Une écrasante majorité d’entre eux (70 %) ont indiqué avoir été engagés en 2016-2017 pour donner des cours à la pièce. Le sondage a également révélé que « 35 % des membres du PAC recevaient un préavis de moins de six semaines » pour se préparer à donner un cours. La loyauté à un établissement n’est pas payée en retour. Les résultats du sondage ont montré que « la moitié des enseignants de niveau postsecondaire ayant participé au sondage doivent soumettre une demande individuelle, chaque tri-mestre, pour chaque cours qu’ils souhaitent donner ».

Dans de telles conditions, la liberté académique est un mirage. Les enseignants qui ne peuvent compter sur la sécurité d’un emploi permanent, régulier, pour combler leurs besoins quotidiens sont beaucoup moins enclins à lancer les idées controversées et stimulantes qui, selon la ministre, devraient susciter le débat en classe. Je lance une idée : faire en sorte que les ententes de partenariat avec les entreprises soient rédigées de manière à protéger clairement la prise de décisions académiques et financer suffisamment l’éducation postsecondaire pour que plus d’enseignants ne se demandent pas d’un trimestre à l’autre s’ils auront un emploi.

Oui, certains enseignants sont dans les fers, mais pas ceux qu’a décrits Doug Ford. Le premier ministre devrait peut-être cesser de courtiser sa base politique et travailler plutôt à conjurer les menaces réelles qui planent sur nos universités.

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