Le 12 janvier 2018, après avoir croupi 1 154 jours dans une prison française, le Libano-Canadien Hassan Diab a été libéré sans subir de procès. Les autorités françaises ont conclu que les preuves amassées contre lui étaient insuffisantes et ont ordonné sa libération. M. Diab s’est adressé aux délégués de la 84e assemblée du Conseil de l’ACPPU en avril afin de raconter l’étrange et troublante histoire de son arrestation, de son extradition et de son incarcération.
Professeur de sociologie ayant fait ses études au Liban et aux États-Unis, Hassan Diab enseignait à l’Université Carleton à Ottawa quand la GRC l’a arrêté en 2008. Il avait découvert un an plus tôt qu’il faisait l’objet d’une enquête des autorités françaises, celles-ci le soupçonnant d’avoir pris part à l’attentat à la bombe qui a fait quatre morts devant une synagogue de Paris en 1980. Il a toujours clamé son innocence, affirmant qu’il se trouvait au Liban au moment des faits.
M. Diab a expliqué comment sa vie et celle de son épouse, Rania, ont basculé après les premières accusations.
« Une journée, je ne sais plus exactement quand, j’ai remarqué que des inconnus dans des voitures aux vitres teintées m’avaient pris en filature… Ces incidents sont devenus de plus en plus fréquents et j’ai décidé d’appeler la police d’Ottawa pour les signaler. Mais ça n’a rien donné. On nous suivait, Rania et moi, tant à l’épicerie qu’en randonnée pédestre. On a même tenté de pénétrer dans notre maison », a-t-il dit aux délégués.
« Le 13 novembre 2008, j’ai été arrêté par une équipe d’intervention d’urgence de la GRC et conduit au centre de détention d’Ottawa-Carleton. On m’a initialement refusé la mise en liberté sous caution et j’ai passé le premier mois en isolement, enfermé dans une petite cellule 23 heures et demie par jour, ne pouvant sortir dans la cour que 30 minutes. »
« L’isolement cellulaire est très difficile et peut même faire perdre la raison. Après ma sortie de l’isolement, j’ai souvent dû partager ma petite cellule avec deux autres détenus parce que le centre de détention était surpeuplé. L’espace était si restreint que l’un de nous devait dormir contre la toilette. La nourriture était rationnée et horrible, l’air irrespirable. »
M. Diab dit qu’il oscillait entre l’ennui et une intense peur.
« Il n’y avait rien à lire. La violence et les affrontements sanglants entre détenus étaient monnaie courante et extrêmement perturbants. Chaque jour, il fallait lutter pour rester sain d’esprit, pour éviter la violence et pour trouver une façon de combler le vide. »
On sait maintenant que des renseignements de sources anonymes, obtenus dans des circonstances nébuleuses — possiblement sous la torture — ont constitué la base de la preuve des autorités françaises contre M. Diab. Le rapport d’analyse graphologique de mots écrits en majuscules par le suspect et d’écrits de M. Diab a été jugé très peu fiable. De plus, les preuves démontrant que ses empreintes digitales ne correspondaient absolument pas à celles du suspect ont été supprimées par les autorités françaises et n’ont jamais été déposées lors de l’audience d’extradition au Canada.
« C’est sur la base de ces allégations que ma vie et celle de mes proches ont été empoisonnées pendant dix ans, souligne M. Diab. Après cinq mois au centre de détention d’Ottawa, j’ai obtenu une remise en liberté sous caution assortie de très strictes conditions, dont le port d’un bracelet électronique à mes frais — environ 1 800 $ par mois — et l’assignation à résidence m’obligeant entre autres à toujours sortir accompagné d’un agent, à rester dans la région d’Ottawa et à observer un couvre-feu. »
L’épouse de M. Diab, Rania, a donné naissance à leur premier enfant durant cette période, alors que le coût du bracelet électronique devenait le cadet de leurs soucis financiers. L’Université Carleton a annulé son contrat mettant ainsi abruptement fin à sa carrière universitaire. Parallèlement, le combat qu’il menait contre la demande d’extradition de la France lui occasionnait d’énormes frais juridiques.
« Mes maigres épargnes se sont envolées dans les premiers mois. Si ce n’était de mon avocat, qui a défendu ma cause bénévolement et des généreux dons de ma famille, de mes amis et des sympathisants à ma cause, je n’aurais jamais pu me défendre contre ces allégations. La présomption d’innocence ne veut pas dire grand-chose quand on est en butte à de sévères conditions de libération sous caution imposées pour des années à la fois. »
Ses batailles juridiques se sont avérées vaines. Selon la Loi sur l’extradition du Canada, le fardeau de la preuve incombe à l’accusé. Malgré le fait qu’il trouvait faible la preuve contre M. Diab et « très problématique » le rapport d’analyse graphologique rédigé par la France, un juge canadien a ordonné son extradition le 6 juin 2011, déclarant qu’en vertu de la loi il n’avait guère d’autre choix. Le ministre de la Justice de l’époque, Rob Nicholson, a signé l’arrêté d’extradition et tous les recours ont été épuisés.
M. Diab a été incarcéré dans la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, une prison à sécurité maximale dans le sud de Paris, où il a de nouveau dû lutter pour préserver sa santé mentale.
« Je suis resté dans cette prison trois ans et deux mois. Le plus difficile, c’était de me trouver à des milliers de kilomètres de ma famille et de ne pas savoir comment ils s’en sortaient. » Rania a accouché de leur deuxième enfant durant cette période.
« Les coups incessants frappés sur les portes et les cris perçants des autres détenus sont profondément perturbants. L’incarcération — même des personnes prétendument présumées innocentes — a pour but de punir les gens et de leur arracher toute humanité et tout espoir. »
Enfin, après plus de trois ans de détention et l’accumulation de plusieurs preuves par les enquêteurs selon lesquelles il ne se trouvait pas à Paris, mais bien au Liban le jour de l’attentat, il a été libéré sans avoir subi de procès. Les procureurs ont porté cette décision en appel et, si l’appel est jugé recevable, ils ont le droit en vertu de la loi canadienne en vigueur de demander à nouveau son extradition.
Depuis son retour à la maison, M. Diab réclame la réforme de la loi qui a lourdement ébranlé sa vie pendant une décennie.
« La pleine divulgation des éléments de preuve, la présomption d’innocence et le devoir de l’État d’établir la fiabilité de la preuve devraient former l’assise de la nouvelle loi. C’est la seule façon de s’assurer que des Canadiennes et Canadiens innocents ne seront pas extradés pour croupir seuls dans des prisons étrangères loin de leur famille et privés de toute interaction humaine significative sur la seule foi d’éléments de preuve qui ne résisteraient pas à l’examen des instances judiciaires au Canada », a-t-il dit.
Depuis son allocution à l’assemblée du Conseil, de nouvelles informations ont révélé que les autorités canadiennes pourraient avoir délibérément soustrait des éléments de preuve qui auraient exonéré M. Diab de toute faute. Le gouvernement a lancé une enquête interne du ministère de la Justice sur les allégations et promet une révision de la Loi sur l’extradition du Canada.
L’ACPPU réclame la tenue d’une enquête publique indépendante sur le traitement infligé à M. Diab.