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Le mot du président / Il faut se méfier de la flatterie

Le mot du président / Il faut se méfier de la flatterie

Par James Compton

En communication politique, une maxime vaut son pesant d’or : si votre adversaire est sensible à votre discours, vous êtes sur la bonne voie. En fait, cela pourrait même être de la flatterie. Cette idée, un peu paradoxale je l’avoue, m’est venue à l’esprit en lisant un rapport du Conseil des universités de l’Ontario sous le titre Faculty at Work: The Composition and Activities of Ontario Universities’ Academic Workforce. Cela mis à part, les auteurs ont exposé sans détour le but de leur démarche. Ces dernières années, ont-ils écrit, une conversation publique a été engagée sur la situation des professeurs à temps partiel dans les universités et a renforcé une perception selon laquelle la plupart d’entre eux détiennent un doctorat et préféreraient enseigner à temps plein. Leur analyse, basée sur des données détaillées recueillies auprès de 17 universités ontariennes, est centrée sur cette perception.

Cette conversation publique est le fruit de l’intérêt grandissant des médias à l’égard du nombre croissant de contractuels académiques peu rémunérés dans les universités et les collèges du Canada. On s’intéresse enfin au quotidien de professeurs qui ont longtemps été dans l’ombre. Parfois, les professeurs ont même réussi à négocier de meilleures conditions de travail. Au bout de cinq semaines de grève, les professeurs des 24 collèges en Ontario ont obtenu gain de cause sur des enjeux importants pour le personnel académique contractuel (entre autres, une clause sur le principe « à travail égal, salaire égal » et, pour la première fois, un nouveau libellé définissant la liberté académique).

Le Conseil a publié son rapport sur fond de cette victoire retentissante. Il a soutenu qu’il fallait examiner la « perception » selon laquelle les universités et les collèges économisaient sur le dos des professeurs. Je ne peux croire à une coïncidence. Le rapport est une première tentative pour détourner le débat public du dossier bien documenté de la précarité du personnel académique contractuel pour l’axer sur un sujet plus nébuleux — les perceptions. Pour réaliser cet habile tour de passe-passe, le Conseil a fondé son interprétation des statistiques sur les effectifs sur des suppositions erronées.

À partir des données d’une enquête effectuée auprès de 17 universités ontariennes — sauf l’Université de Toronto, le Conseil indique que les professeurs « à temps partiel » engagés en vertu de contrats à durée limitée représentent 52 % des effectifs académiques totaux. Il fait ensuite une série de suppositions laissant entendre que la grande majorité d’entre eux « ne correspond pas à la perception courante du public d’un professeur à temps partiel aspirant à une carrière professorale à temps plein ».

La manœuvre rhétorique mérite d’être soulignée. Les auteurs reconnaissent qu’une majorité du personnel académique en Ontario est titulaire d’un contrat à durée lim­itée, mais s’engagent ensuite dans un jeu de passe-passe pour montrer que les professeurs contractuels sont, pour la plupart, très heureux de leur sort. Ils sous-entendent que ces professeurs aiment, voire préfèrent, vivre dans la précarité et être mal rémunérés. Pour nous le faire croire, ils recadrent leur analyse, c’est-à-dire qu’ils font fi du total de 52 % et s’intéressent plutôt aux professeurs à temps partiel aspirant à faire carrière dans l’enseignement à temps plein. Pour soutenir leur angle d’analyse, les auteurs excluent tous les professeurs permanents à temps partiel, les étudiants de cycle supérieur, les boursiers postdoctoraux et le personnel qui cumule l’enseignement à temps partiel et d’autres fonctions, les titulaires d’autres grades que le doctorat et les personnes de 65 ans et plus. Au final, le pourcentage de professeurs aspirant à occuper un poste permanent à temps plein fond à 23 %.

On notera l’absence de données pour appuyer l’argument selon lequel les professeurs contractuels ne sont pas intéressés par un poste menant à la permanence relativement bien rémunéré et stable. Les chercheurs ne leur ont pas posé la question, ils ont simplement supposé qu’ils n’étaient pas intéressés. Ils n’ont pas non plus évalué la contribution des professeurs contractuels à des activités de recherche et de service. Ils ont plutôt supposé que ceux-ci ne participaient à aucune activité de ce type, faute de rémunération. Nous ne disposons pas de données objectives sur ce point, mais des témoignages nous permettent de présumer que de nombreux professeurs contractuels travaillent fort pour maintenir à niveau leur profil de recherche.

Là où l’analyse fait peut-être le plus fausse route, c’est en appliquant un « dernier filtre » pour exclure les professeurs qui donnent moins de deux cours par semestre au même établissement. Une fois de plus, les auteurs supposent que quiconque a une charge d’enseignement aussi légère a peut-être « choisi » d’avoir un travail amusant, pour passer le temps. Les auteurs concluent que les professeurs « qui donnent aussi peu de cours cherchent seulement à compléter la rémunération qu’ils tirent d’un autre emploi et ne pourraient faire carrière uniquement dans l’enseignement ». Comment le sauraient-ils? Cette supposition est particulièrement effarante parce que de nombreux établissements sont situés à proximité les uns des autres dans le sud de l’Ontario, de sorte qu’un professeur pourrait cumuler sans problème plusieurs affectations dans des établissements différents.

Les militants dans les associations ont de quoi se réjouir : nos efforts pour améliorer les conditions de travail du personnel académique contractuel portent leurs fruits. Nous n’avons pas tout réglé, mais le Conseil ne réagirait pas ainsi si notre travail était vain. Venant de lui, c’est flatteur.