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Le mot du président / Le rapport Naylor : une occasion historique d’agir

Le mot du président / Le rapport Naylor : une occasion historique d’agir

par James Compton

Nous vivons, du moins c’est ce qu’on entend dire, à l’ère des « fausses nouvelles » et d’une inextinguible partisanerie politique. Vous n’aimez pas la couverture scientifique de CNN? Vous n’avez qu’à syntoniser Fox News. Si vous n’y trouvez toujours pas votre compte, vous pouvez vous rabattre sur les théories du complot que colporte Alex Jones sur InfoWars.com où vous lirez que les changements climatiques « sont essentiellement un mythe véhiculé par les politiciens dans le but d’effrayer le public de sorte qu’il accepte une vaste expansion du gouvernement ».

Certes, les débats publics sur la science se sont encore plus profondément enlisés ces dernières années, surtout aux États-Unis. Et la situation n’était guère plus rose au Canada. C’est pourquoi le consensus entourant le rapport du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale est très encourageant. Le rapport Naylor — baptisé du nom du président du Comité, David Naylor — a réussi tout un exploit au Canada : rallier pratiquement tout le monde.

« Le rapport Naylor offre au Canada une rare occasion de se repositionner en tant que chef de file mondial en recherche et découverte », a dit le président d’Universités Canada, Paul Davidson. Le Royal Canadian Institute for Science salue le rapport, tandis que le groupe d’activisme scientifique Evidence for Democracy le considère comme « une feuille de route positive et ambitieuse pour la création d’un secteur de recherche solide, fécond et responsable au Canada ».

Que contient donc le rapport Naylor? « La conclusion générale du Comité est que la recherche scientifique indépendante et les investigations savantes sont restées sous-financées pendant la majeure partie de la dernière décennie et que le gouvernement fédéral a concentré ses ressources sur des programmes axés sur l’innovation ou les priorités. » Et il s’appuie sur des chiffres. « Entre 2007-2008 et 2015-2016, l’enveloppe budgétaire de la recherche initiée par des chercheurs (ajustée en fonction de l’inflation) a diminué de 3 %, tandis que celle de la recherche axée sur des priorités a augmenté de 35 %. » Ce n’est pas tout. Le Comité ajoute que « même si le nombre de chercheurs a augmenté pendant cette période, les ressources réellement disponibles par chercheur actif pour entreprendre de la recherche ont diminué d’environ 35 % ».

En conséquence, la « recommandation la plus importante formulée par le Comité est celle qui conseille au gouvernement fédéral d’augmenter rapidement son investissement dans la recherche indépendante » en affectant immédiatement 1,3 milliard de dollars au financement de base des conseils subventionnaires sur quatre ans. Cette somme comprendrait un indispensable coup de pouce aux chercheurs en sciences humaines financés par le CRSH qui, selon le Comité, souffrent de sous-financement depuis des décennies.

Le Comité recommande aussi : la création d’un conseil consultatif national sur la recherche et l’innovation chargé de coordonner les organismes de financement et « d’exercer une supervision générale des écosystèmes fédéraux de recherche et d’innovation »; que les ministres fédéraux responsables songent « à établir des objectifs et des quotas d’équité confirmés dans les cas où il y a eu des disparités tenaces et inacceptables »; un soutien aux chercheurs et collectivités autochtones; et un soutien accru aux chercheurs en début de carrière.

Comme nous l’avons indiqué dans notre réponse initiale au rapport, les recommandations et les justifications à l’appui auraient très bien pu être rédigées par l’ACPPU. Une semblable conjonction d’idées est chose rare et quand elle se produit, il faut y donner suite.

Il ne faut cependant pas se méprendre. Les problèmes auxquels se heurtent nos communautés de recherche sont liés à la conjoncture sociétale. Les scientifiques du climat du laboratoire de recherche sur l’atmosphère dans l’environnement polaire ont signalé que la poursuite de leurs importants travaux de recherche était menacée faute de financement fédéral durable. De fait, nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés sur les plans culturel, social et politique, des conflits armés et larges flux de réfugiés aux écarts de revenus sans cesse croissants en passant évidemment par les « fausses nouvelles », requièrent des solutions réfléchies et fondées sur des données probantes. Le financement de la recherche axée sur les intérêts à court terme de l’industrie et du milieu des affaires ne s’avérera d’aucune utilité, contrairement à la recherche indépendante. Cette dernière ne garantit pas la réussite, mais sans elle, l’échec est pratiquement garanti.

La solidarité et l’engagement envers des objectifs communs nécessaires pour obtenir des résultats étaient palpables lors du Jour de la Terre, le 22 avril. Des milliers de citoyennes et citoyens ont pris part à plus de 600 rassemblements partout dans le monde et manifesté conjointement leur soutien à la science indépendante. Je me suis joint à un large groupe réuni sur la Colline du Parlement en cette fraîche matinée et n’ai pu m’empêcher de sourire quand la foule s’est mise à scander : « Que voulons-nous? Des politiques basées sur des données probantes! Quand les voulons-nous? Après une évaluation par les pairs! »