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Entrevue / Carys Craig

Entrevue / Carys Craig

Carys Craig est juriste et experte en droit d’auteur et en intelligence artificielle à la faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York. Elle est directrice du programme LL.M professionnel en droit de la propriété intellectuelle, ainsi que membre fondatrice et directrice du programme en droit de la propriété intellectuelle et de la technologie d’Osgoode.

Qu’est-ce que l’utilisation équitable?

L’utilisation équitable est le droit d’utiliser une œuvre protégée par le droit d’auteur comme la loi le permet. Selon cette doctrine, l’utilisation d’une œuvre originale à des fins de recherche et d’étude privée, de parodie, de satire, d’éducation, de critique et de compte rendu, et de reportage ne constitue pas une violation du droit d’auteur. À ces fins, les personnes ont le droit d’utiliser des œuvres protégées, y compris en effectuant des reproductions qui, autrement, enfreindraient le droit d’auteur.

Plusieurs facteurs déterminent l’utilisation équitable : le but et la nature de l’utilisation équitable, la nature de l’œuvre, l’ampleur de l’utilisation équitable, les alternatives et l’effet de l’utilisation équitable sur l’œuvre et sa valeur marchande.

La Cour suprême du Canada a déclaré à plusieurs reprises que l’utilisation équitable n’est pas une simple échappatoire ou une exception. Elle est au cœur du système du droit d’auteur et de son objectif : trouver un équilibre entre la récompense des autrices et auteurs et l’encouragement de la création et de la diffusion des œuvres, en favorisant un domaine public dynamique. Le régime du droit d’auteur se compose des droits des titulaires et des droits des utilisatrices et utilisateurs. L’utilisation équitable est un droit de l’utilisatrice et de l’utilisateur et c’est l’un des moyens par lesquels le système atteint l’équilibre et évite d’aller à l’encontre de ses propres objectifs.

Quelle est la différence entre l’utilisation équitable et le  fair use ?​

La doctrine américaine du fair use a un champ d’application plus large parce qu’elle n’est pas limitée à des objectifs spécifiques comme la doctrine canadienne de l’utilisation équitable. Toutefois, 21 années de jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la portée de l’utilisation équitable en tant que droit de l'utilisatrice et de l'utilisateur l’ont rapprochée du fair use, rendant l’interprétation de ses objectifs statutaires plus large et plus flexible. Par exemple, la Cour a déclaré que nous avons besoin d’une interprétation libérale de ce qui constitue la recherche.

Le passage à un régime non limitatif fondé sur la doctrine du  fair use a suscité la controverse dans l’élaboration des politiques canadienne de l’utilisation équitable. L’ACPPU et d’autres ont préconisé ce changement dans la Loi sur le droit d’auteur. J’ai également soutenu que nous devions ouvrir le concept d’utilisation équitable pour qu’il ressemble davantage au concept du « fair use ». Toutefois, en raison de la jurisprudence de la Cour suprême, la différence entre les deux doctrines est de moins en moins significative.

Comment les deux doctrines affectent-elles les relations commerciales?

La scène mondiale du droit d’auteur tente généralement d’internationaliser un niveau élevé de protection du droit d’auteur pour les titulaires, sans grande considération pour la protection des utilisatrices et utilisateurs. Même si les notions d’utilisation équitable et de  fair use sont aujourd’hui largement alignées, les États-Unis ont toujours adopté, lors des négociations internationales, la position selon laquelle les autres juridictions ne devraient pas disposer d’une défense étendue en matière de fair use.

Les États-Unis exportent et exigent de leurs partenaires commerciaux des protections solides en matière de droits d’auteur, mais refusent généralement de leur permettre d’élaborer une doctrine large et souple en matière de fair use. Certains pays l’ont néanmoins fait, notamment Israël et Singapour.

Quel est l’impact de l’IA sur l’utilisation équitable et le fair use  ?

On assiste à un repli du contrôle du droit d’auteur sur cette technologie qui change de paradigme et à une résistance connexe à l’utilisation équitable protégeant les développeurs d’IA de toute responsabilité en matière de droit d’auteur.

Certains ont fait valoir que la doctrine du fair use rend licite la création d’ensembles de données d’entraînement à l’IA contenant des milliards d’œuvres pour lesquelles les droits n’ont pas été acquittés, protégeant ainsi l’industrie de l’IA de toute responsabilité. Les tribunaux n’ont pas encore tranché cette question aux États-Unis et au Canada. Par ailleurs, les personnes préoccupées par l’utilisation extractive ou l’exploitation du matériel culturel soutiennent que l’entraînement de systèmes à partir de textes et de données récupérés sur l’internet n’est pas une utilisation équitable.

Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter de l’effet significatif que l’IA générative pourrait avoir sur notre paysage culturel et nos pratiques éducatives. Toutefois, je me méfie du battage médiatique autour de l’IA qui surestime ses capacités et sa trajectoire future. Je me méfie également des appels à ce que la loi rattrape, réglemente ou interdise cette technologie récente.

Qu’en est-il du piège de la propriété intellectuelle liée à l’IA?

Dans mon prochain article intitulé « The AI-Copyright Trap », je mets en garde contre une protection forte du droit d’auteur et une utilisation équitable limitée en tant que garanties pour les créatrices et créateurs et la culture contre les menaces posées par l’IA générative. S’appuyer sur le droit d’auteur pour contrôler l’IA rejoint les intérêts des entreprises des secteurs des médias, de la culture et de la technologie.

Dans mon discours d’ouverture lors de la Semaine de l’utilisation équitable, j’ai fait allusion à un retour de bâton contre l’utilisation équitable. Les puissants acteurs de l’industrie qui réclament une réforme de la Loi sur le droit d’auteur à l’ère de l’IA sont les suspects habituels qui ont plaidé en faveur de l’élimination de l’utilisation équitable par les établissements d’enseignement.

J’espère que les gens se rendront compte que le fait de porter atteinte à l’utilisation équitable et de saper les droits des utilisatrices et des utilisateurs à cause de l’IA générative portera préjudice au milieu universitaire. Par exemple, le droit de mener des recherches est un élément fondamental de l’utilisation équitable. Cela inclut le droit de procéder à l’analyse informationnelle de grands ensembles de données, le droit d’utiliser l’IA pour extraire des données et des informations d’œuvres originales, et le droit de reproduire les œuvres elles-mêmes.

Nous devons donc être prudents face à la réaction instinctive selon laquelle il est injuste d’entraîner des modèles d’IA sur des œuvres protégées par le droit d’auteur, car il s’agit du même argument que celui utilisé contre la reproduction à des fins éducatives.

La liberté académique est-elle menacée?

La liberté académique est menacée par les restrictions imposées au personnel académique en matière d’utilisation des outils d’IA ou par une surveillance ou un contrôle non nécessaires de la part des universités ou d’intérêts extérieurs.

Les inquiétudes suscitées par l’utilisation de l’IA générative en classe ont conduit à des efforts visant à créer des règles sur son utilisation acceptable, qui pourraient entraîner des conséquences inattendues. À mon avis, les concepts d’honnêteté académique et de plagiat sont suffisants à cette fin.

De même, je m’inquiète d’un avenir marqué par une surveillance ou un contrôle excessif de la manière dont les chercheuses et chercheurs et le personnel académique utilisent les outils d’IA, que ce soit pour établir et noter les devoirs ou pour leurs propres travaux d’écriture et de recherche.

La Loi sur le droit d’auteur devrait être neutre sur le plan technologique. C’est un instrument inapproprié pour réglementer l’IA et fournir des garde-fous.

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