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« Heures réputées travaillées » pour les fins de l’assurance-emploi

Les associations de personnel académique devraient négocier dans les conventions collectives des dispositions qui régissent les « heures réputées travaillées » pour les fins de l’assurance-emploi. Ces dispositions ne doivent pas être arbitraires; elles doivent au contraire être fondées sur des évaluations réalistes du travail exigé.

Énoncé de principes sur les « heures réputées travaillées » pour les fins de l’assurance-emploi
(Approuvé par le Conseil de l’ACPPU, mai 2017)

Malgré les efforts que nous avons déployés pour promouvoir un système de rémunération proportionnelle pour le personnel académique contractuel (PAC), la plupart des membres de ce dernier continuent d’être embauchés par cours selon des contrats à échéance fixe, la plus grande partie du travail étant concentrée à l’automne et à l’hiver, selon les diktats du calendrier scolaire. Ainsi, nombreux sont les membres du PAC qui, même s’ils ont accumulé suffisamment d’ancienneté pour avoir un droit de premier refus, se retrouvent en chômage une partie de l’année. Or, comme l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi (AE) dépend du nombre d’heures travaillées par la personne au cours de la période de 12 mois précédente[1], les membres du PAC dont les heures travaillées aux termes de leur contrat n’ont pas été comptabilisées en bonne et due forme sont pris au dépourvu quand vient le temps de demander des prestations d’AE.

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Lorsqu’un travail prend fin, l’employeur est tenu d’émettre un relevé d’emploi qui doit accompagner la demande de prestations d’AE. Du fait que les membres du PAC ne sont pas rémunérés selon un taux horaire, ce sont les « heures réputées travaillées » qui doivent figurer sur le relevé d’emploi. Cependant, les universités et les collèges font souvent preuve de désinvolture à ce sujet et sous-estiment fréquemment le nombre d’heures jugé nécessaire pour accomplir le travail. Pour rédiger sa politique en la matière, l’ACPPU s’est inspirée de deux cas ayant fait l’objet de poursuites[2]. On trouvera ici une analyse qui aidera les associations à appliquer la politique de l’ACPPU au libellé de leurs conventions collectives.

Un survol des pages qui traitent des ressources humaines dans les sites web d’universités et de collèges semble indiquer que peu d’établissements ont des politiques officielles sur le calcul des « heures réputées travaillées ». En l'absence d'une politique claire, il est loisible au membre et à l'employeur de s'entendre sur le nombre d'heures assurables inscrites sur leur relevé d’emploi. En cas de désaccord à ce sujet, le PAC permet au membre de diviser les gains assurables par le salaire minimum à chaque établissement[3]. Malgré cette politique très généreuse pour le personnel non syndiqué, les administrations se montrent réticentes à négocier dans les conventions collectives du PAC les dispositions voulues pour déterminer les heures réputées travaillées. En général, leur estimation de ces heures aux fins de l’établissement du relevé d’emploi est bien en deçà de la réalité. Il importe donc de connaître la jurisprudence dans ce domaine, et l’affaire Franke en particulier renferme des points de repère essentiels pour tout négociateur.

Mark Franke enseignait à l’Université de Victoria, où, comme dans la plupart des établissements, « il n’y avait aucun contrat écrit contenant un exposé détaillé des tâches de l’appelant ». La cour a accepté, dans son cas, un registre détaillé tenu par M. Franke des heures qu’il avait consacrées à diverses activités, dont la préparation des cours et l’évaluation des étudiantes et étudiants. Pour sa part, l’Université s’était contentée d’appliquer une « règle générale » selon laquelle il faut trois heures de préparation pour chaque heure de cours donnée, sans tenir compte du fait que la durée de la préparation varie considérablement selon le type et le niveau du cours. L’arbitre a rejeté la règle générale de l’Université pour privilégier le registre personnel de M. Franke.

L’affaire Franke montre bien que les formules simples comme « il faut trois heures de préparation pour chaque heure de classe » ne seront pas acceptées par les tribunaux. N’en déduisons pas pour autant qu’une formule plus détaillée et plus compliquée permettrait de résoudre le problème, si elle faisait intervenir des variables multiples comme le niveau et le type du cours (cours d’introduction de première année auquel un grand nombre de personnes sont inscrites par opposition à un séminaire de cycle supérieur où l’effectif est réduit) ou la nature de l’évaluation des étudiantes et étudiants (examens à développement et travaux de session par opposition aux questions à choix multiples ou aux compte rendus brefs). D’ailleurs, une formule plus complexe ne serait pas nécessairement pratique ni souhaitable. Des formules tayloristes qui divisent en unités isolées des tâches comme l’évaluation des étudiantes et étudiants va à l’encontre des conditions de travail essentielles de toute personne professionnelle du milieu postsecondaire qui travaille de manière indépendante et sans supervision et exerce sa liberté académique dans l’organisation, la présentation et l’enseignement de la matière de ses cours. De plus, envisager des formules complexes qui assigneraient une durée précise à chaque tâche risquerait d’inviter l’employeur à s’immiscer dans des décisions d’ordre pédagogique.

N’oublions pas, en outre, le but de tout mandat de négociation : assurer l’équité pour ceux de nos collègues qui doivent parfois recourir à l’AE, sans cependant les obliger à porter le fardeau additionnel que représente la comptabilisation de chaque heure travaillée. La convention doit seulement prévoir la reconnaissance du nombre d’heures suffisant pour que les membres du PAC qui ont versé des primes d’AE soient admissibles à ces prestations. Il n’est pas nécessaire de comptabiliser les heures travaillées en sus du minimum exigé pour l’AE. Là où le bât blessait dans l’affaire Franke, ce n’était pas le fait de recourir à une formule, mais bien le caractère arbitraire de la formule[4] et l’estimation trop faible qui en résultait lorsqu’on la comparait au registre tenu par M. Franke. Aussi la convention doit-elle prévoir deux choses : une estimation plus juste et raisonnable du nombre d’heures minimum exigé par le contrat et la souplesse voulue pour augmenter, au besoin, les heures réputées travaillées.

Toute association qui cherche à établir une attente minimale en ce qui a trait aux heures réputées travaillées doit se garder de suivre une méthode arbitraire. Dans la grande majorité des cas, l’enseignement postsecondaire consiste à donner un ou deux cours de trois crédits ou de six crédits durant une session. La combinaison des cours varie cependant selon la taille de l’établissement et les types de programmes offerts, d’où la nécessité d’adapter l’exercice aux besoins particuliers de chaque établissement. Il pourrait être utile d’analyser les cours offerts et de déterminer à quoi ressemble, en principe, un « cours moyen », pour ensuite administrer un sondage aux membres sur les heures de travail accomplies dans un tel cours. Sans garantir une précision absolue, cette façon de procéder produirait une estimation raisonnable et représentative des attentes « normales » pour la rémunération par cours, attentes sur lesquelles pourra reposer la négociation du minimum exigé en heures réputées travaillées.

Plusieurs associations ont déjà négocié et inclus dans leurs conventions collectives un nombre fixe d’heures réputées travaillées. La convention collective de l’Université Acadia prévoit à l’alinéa 11.17 (d) que, pour les besoins du calcul des heures de travail pour les fins de l'assurance-emploi, chaque cours de trois (3) heures-crédits dispensé par les employés constitue 200 heures d’emploi, et les laboratoires constituent 100 heures d’emploi. Pour les cours en ligne offerts par Open Acadia, les employés sont crédités de huit (8) heures d'emploi par étudiant qui termine le cours, et de quatre (4) heures d'emploi par étudiant qui ne termine pas le cours, mais qui reste inscrit pendant plus de deux semaines après l'inscription autorisée pour l'annulation. L’élaboration d'un cours en ligne constitue 200 heures d’emploi, et la reprise de cours en ligne constitue 100 heures d’emploi[5]. L'article 14.04 de la convention d'Algoma fixe une norme de 198 heures pour un cours semestriel de trois crédits[6]. La norme est encore plus élevée dans la convention du SCFP 3902 (unité 3) : «The parties agree that for Employment Insurance purposes only, a course instructor for a full course will be deemed to have worked 460 hours, and a course instructor for a half course will be deemed to have worked 230 hours[7].

Les employeurs, par contre, hésitent souvent à négocier des heures réputées travaillées, car ils craignent de créer ainsi un précédent. Voilà pourquoi la convention de la section locale 3902 du SCFP stipule ce qui suit :

the parties agree that this agreement is strictly for Employment Insurance purposes only, and is without prejudice to the positions of the parties, and shall in no way affect the interpretation, application, and administration of the Collective Agreement provisions and any University policies and practices, and shall not be relied on or referred to in any proceedings other than those under the Employment Insurance Act or Regulations.

Ni l’une ni l’autre de ces conventions ne mentionne les variables prises en compte ni le calcul ou la pondération effectués. La structure académique très différente des deux établissements pourrait certes expliquer, du moins en partie, l’écart observable (198 heures pour un cours de trois crédits à Algoma contre 230 heures à Toronto). Cependant, dans les deux cas, l’objectif premier est d’établir pour les membres du PAC rémunérés à la leçon un minimum raisonnable d’heures réellement travaillées aux fins de l’AE. Les minimums ne sont pas pour autant toujours équitables. À l’Université de Toronto, le nombre d’heures supérieur présente un avantage particulier : il garantit qu’un cours de six crédits s’échelonnant sur huit mois (deux sessions) répond aux exigences des règlements de l’assurance-emploi. Si la convention de la section locale 3902 du SCFP avait été appliquée à M. Franke ou à Mme McKenna, aucune poursuite n’aurait été nécessaire pour prouver par d’autres moyens l’admissibilité de ceux-ci à l’AE.

Néanmoins, il ne suffit pas non plus d’établir un nombre d’heures raisonnable pour un « cours moyen », comme en témoigne l’affaire McKenna : « [...] l'employeur ne pouvait établir avec certitude ni ne connaissait le nombre réel d'heures d'emploi assurable accumulées par l'appelante pendant la période d'emploi au sens du paragraphe 10(4) du Règlement[8]. » La cour a fait valoir le même principe dans l’affaire Franke :

[...] le nombre d’heures de travail que les chargés de cours devaient effectuer pour s’acquitter des tâches prévues au contrat de travail variait selon le cours donné, la structure du cours et le style de l’enseignant lui-même. Il n'a pas été question de l’existence d’un lien entre le temps réellement consacré à ces tâches par un enseignant et le nombre d'heures calculé selon la formule[9].

Une convention collective pourra éviter le calcul des heures réputées travaillées d’après une formule rigide dans la mesure où elle surmontera la difficulté signalée par la cour.

Les tribunaux nous rappellent que le paragraphe 10(4) du Règlement exige le calcul des heures réellement travaillées. Comme l’employeur ne connaissait ni ne pouvait connaître les heures travaillées, la cour a accepté le registre personnel de l’appelant. Toute convention collective devrait prévoir la possibilité de tenir un tel registre, avec le risque, néanmoins, que les collègues du PAC soient désormais obligés de comptabiliser leurs heures quotidiennement. Les conventions devraient permettre des façons de faire moins accablantes.

Les heures réellement travaillées varieront toujours selon le cours. En plus de prévoir une attente raisonnable pour un « cours normal », la convention devrait indiquer que les heures réputées travaillées peuvent augmenter ainsi que préciser le plus possible les circonstances dans lesquelles une augmentation s’impose. Ici encore, il n’est pas nécessaire d’effectuer un calcul détaillé pour protéger les droits des membres. Il faut néanmoins que la convention permette au membre de demander une augmentation des heures réputées travaillées, précise les variables à prendre en compte, désigne la personne autorisée à accorder l’augmentation (la doyenne ou le doyen, dans la plupart des cas) et prévoie un mécanisme pour résoudre les cas où un membre et la doyenne ou le doyen n’arrivent pas à s’entendre. Le libellé n’est pas difficile à rédiger.

X.1  Le membre peut demander que les heures réputées travaillées augmentent selon les circonstances, dont les suivantes :

  1. nombre d’inscriptions élevé;
  2. niveau du cours;
  3. nature des travaux;

[1].      En général, aux fins de l’AE, il faut avoir travaillé 460 heures au cours des 12 mois précédents, nombre qui peut néanmoins varier selon le taux de chômage dans la région et selon que la personne qui fait la demande vient d’arriver sur le marché du travail ou non: https://www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/assurance-emploi-reguliere/admissibilite.html, accédé le 16 janvier 2023.
[2].       McKenna c. Canada (ministre du Revenu national – MRN). [1999] A.C.I. no 816, dossier no 1999-2603 (EI) et Franke c. Canada (ministre du Revenu national – MRN) [1999] A.C.I. no 645, dossier no 98-487-UI.
[4].       Comme l’indique le jugement rendu pour l’affaire Franke : « le nombre d’heures de travail que les chargés de cours devaient effectuer pour s’acquitter des tâches prévues au contrat de travail variait [... et il] n'a pas été question de l’existence d’un lien entre le temps réellement consacré à ces tâches par un enseignant et le nombre d'heures calculé selon la formule. » Franke c. Canada (ministre du Revenu national – MRN) [1999] A.C.I. no 645, dossier no 98-487 (UI).
[5].       Convention collective de l’Acadia University Faculty Association, 1er juillet 2017 – 30 juin 2021, alinéa 11.17(d).
[6].       Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario au nom de sa section locale 685 – Convention collective du personnel académique contractuel à temps partiel de l’Université Algoma, 1er juillet 2019 – 30 juin 2022, article 14.04.
[7].       « Letter of Intent: Employment Insurance Hours for Sessional Lecturers, December 1, 2017 », Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3902 (unité 3), Convention collective des travailleuses et travailleurs en éducation, 1er septembre 2017 – 31 août 2021.
[8].       McKenna c. Canada (ministre du Revenu national – MRN) [1999] A.C.I. no 816, dossier no 1999-2603.
[9].       Franke c. Canada (ministre du Revenu national – MRN) [1999] A.C.I.