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Points saillants de la 4e Conférence des francophones de l’ACPPU

Les 2 et 3 février à l’hôtel Hilton Garden Inn d'Ottawa, une soixantaine de membres représentant le personnel académique francophone canadien se sont penchés sur l’avenir du travail académique en français au Canada. Patrick Noël, le président du Comité des francophones de l’ACPPU a invité les participantes et participants à une réflexion profonde sur les enjeux et perspectives. 

Yalla Sangaré, le trésorier de l’ACPPU, a rassuré les participantes et participants à la Conférence de l’engagement du Comité de direction de l’ACPPU à « continuer de se battre pour faire avancer la cause des francophones. » Il a souligné la présence de M. Greg Allain, un ancien président de l’ACPPU, qui est en grande partie responsable de la création du Comité des francophones. 

La longue marche des francophones 

M. Allain a raconté les étapes clés qui ont conduit à la création d’organes officiels pour représenter les francophones au sein de l’ACPPU. 

Avant l’adhésion du SPUL (Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval) et du SGPPUM (Syndicat général des professeures et professeurs de l'Université de Montréal), les échanges entre les francophones québécois et les francophones hors du Québec étaient sporadiques, a-t-il dit. 

« Comme j’étais le seul francophone au sein de l’exécutif [de l’ACPPU], on m’envoyait aux réunions du conseil fédéral de la FQPPU (Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université). Ceci me permettait d’entendre les enjeux qui préoccupaient les syndicalistes du Québec et je pouvais leur faire part de nos priorités à l’ACPPU. » 

M. Allain a noté que les liens entre les francophones se sont renforcés au fil des ans avec la réunion des associations francophones et bilingues et après la formation du Comité des francophones de l’ACPPU. 

Appui des gouvernements au milieu postsecondaire francophone 

Les participantes et participants ont suivi avec intérêt un échange entre Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada et Stéphanie Chouinard du Collège militaire royal du Canada. 

Face aux défis auxquels est confronté le milieu de l’enseignement postsecondaire en français, M. Théberge a évoqué les pistes de solutions que propose le Comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes incluent un soutien financier au Service d’aide à la recherche en français (SARF). 

Il a souligné la possibilité pour le milieu postsecondaire de s’appuyer sur la Partie VII (Progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais) de la nouvelle loi sur les langues officielles pour faire avancer le financement des enjeux chers aux francophones. 

Mme Chouinard a rappelé que les engagements du gouvernement fédéral qui se retrouvent dans la Partie VII de la nouvelle loi sur les langues officielles demeurent en suspens puisque l’ancienne mouture avait été jugée non justiciable par les tribunaux parce que rédigée en des termes trop flous. 

Elle a lancé un appel à la participation de l’ACPPU au processus règlementaire de cette loi. « Le texte de loi est tout nouveau, tout beau, mais s’il n’y a pas de règlement qui vienne guider la fonction publique pour lui expliquer ses nouvelles obligations, la Partie VII va rester lettre morte, » a-t-elle ajouté. 

Elle a aussi averti que le financement accru du gouvernement fédéral pour la recherche en français présente un certain nombre de risques, dont celui que les acteurs provinciaux se délestent de leurs propres obligations. 

Mme Chouinard a conclu qu’ « être chercheur francophone en situation minoritaire et choisir de faire de la science en français [en milieu] minoritaire aujourd’hui, c’est poser un geste politique, parce que rien dans notre système ne nous incite à continuer à faire de la science en français ». 

À la suite de cet échange, Thierry Drapeau, le directeur du SARF de l’Acfas a fait une présentation de son organisation et de l’accompagnement qu’elle offre aux chercheuses et chercheurs d’expression française en milieu minoritaire. 

Mobilisation syndicale à l’ère postpandémique 

Une table ronde a réuni Chantale Jeanrie du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL), Leandro Vergara-Camus, le président fondateur du syndicat des professeur.e.s de l’Université de l’Ontario français (SPPUOF) et Anne Sechin de l’Association des professeur.e.s et professionnel.le.s de l’Université de Saint-Boniface (APPUSB). 

La pandémie ayant changé beaucoup de choses, les panelistes ont discuté de la manière dont leurs syndicats se mobilisent et s’adaptent à la nouvelle donne. 

Le SPUL a rapidement élaboré son cahier de charge et de diffuser largement ses demandes principales auprès de ses membres afin qu’ils se les approprient, bien avant que les négociations collectives ne démarrent, a indiqué Mme Jeanrie.  

L’administration venait tout juste de sortir d’une négociation avec un autre groupe syndical, qui a duré trois ans. Le SPUL est donc allé rapidement à un vote de grève pour éviter le même scénario. 

Le SPUL a opté pour une grève organisée autour de plusieurs « activités thématiques dans lesquelles il y avait des marches et du piquetage, mais pas de piquetage fixe devant les bâtiments. » La grève a reçu un écho favorable dans les médias et a démontré à l’employeur la cohésion qu’il y avait entre les professeures et professeurs, ce qui a contribué au succès des négociations. 

M. Vergara-Camus a quant à lui rappelé que l’Université de l’Ontario français est née en 2021 dans un contexte néo-libéral. Sa gestion a donc été pensée comme celle d’une entreprise. Les professeures et professeurs ont passé les deux premières années d’existence de l’université à faire reconnaître à l’administration la nécessité d'instances collégiales. 

Avec l’appui « essentiel » de l’ACPPU, elles et ils ont entamé un processus d’accréditation de syndicat, « malgré la peur réelle que l’employeur puisse [les] mettre à pied. » Après sa certification le 1er juin 2023, la négociation pour la première convention collective du SPPUOF reste ardue parce que le syndicat est parti de zéro. 

« Quand vous commencez une négociation, vous utilisez la dernière convention collective, vous rajoutez des éléments, votre mandat de grève repose sur certains points. Nous, c'est toute la convention qu'il faut écrire à partir de rien, » a déclaré M. Vergara-Camus. 

 À l'Université Saint-Boniface, « on a eu le record de 1 000 jours de négociation, » a déclaré Mme Sechin de l’APPUSB. Le premier comité de négociation n’arrivait pas à se faire entendre, a-t-elle indiqué. Un deuxième comité a été mis en place quand le premier s’est désisté, et a mis beaucoup plus de pression sur l’administration en demandant des réunions aux deux jours. 

Bien que le mandat du comité fût essentiellement salarial, l’appui de la communauté entière de Saint-Boniface a permis au syndicat de signer une entente avant la date butoir. L’une des stratégies adoptées pour susciter une « mobilisation incroyable » des membres de l’APPUSB a été « celle de créer des sous-comités, ce qui donne la permission aux membres de s’engager mais de s’engager un peu, sans avoir trop peur. » 

Expériences syndicales francophones 

Une autre table ronde a réuni Mathieu Lang de l’Association des bibliothécaires, professeures et professeurs de l'Université de Moncton (ABPPUM), Éric Thériault de la Cape Breton University Faculty Association (CBUFA), Nathalie Pender de la Memorial University of Newfoundland Faculty Association (MUNFA) et Gabriela Vellego de l’Association des professeurs, professeures et bibliothécaires de l’Université Sainte-Anne (APPBUSA). 

Elles et ils se sont penchés sur les enjeux qui touchent le monde syndical francophone et ont partagé leurs diverses expériences lors des récents cycles de négociations collectives. 

Mme Vellego a parlé de l’un des gains importants que son syndicat a obtenu après leur grève en 2022, notamment la création de quatre comités bipartites dont celui des corrections linguistiques qui est chargé de revoir le texte de la convention collective afin de corriger les erreurs linguistiques. 

M. Lang a indiqué que l’un des enjeux importants pour l’ABPPUM était de faire avancer la parité au sein des différents groupes du syndicat. « Un élément important qui va engendrer des gains d’efficacité [pour l’ABPPUM], c’est [de] négocier à la même table les deux conventions collectives, » a-t-il ajouté. 

Pour Mme Pender, les réductions de financement de son université et la réticence de l’administration à négocier ont rendu le récent cycle de négociation de son syndicat difficile. 

Anglicisation des pratiques d’enseignement et de recherche en enseignement 

Messieurs Olivier Bégin-Caouette et Alexandre Beaupré-Lavallée du Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur (LIRES) ont partagé une analyse des résultats d’une étude réalisée grâce à une subvention de la Centrale des syndicats du Québec. 

Cette étude a permis de brosser un portrait de la place relative du français par rapport à d'autres langues en recherche et en enseignement supérieur au Québec. Ils ont constaté que les conventions collectives ne protègent généralement pas la représentation professionnelle sur les comités qui arbitrent les conflits ou les enjeux relatifs à la politique linguistique. 

Ce sont généralement des instances telles que les sénats où le corps professoral n'est pas toujours majoritaire, qui déterminent ces conditions-là. « Si votre établissement ne protège pas la valorisation du français comme langue minoritaire de façon suffisante, la façon de les forcer, c'est par le biais de la négociation collective, » a déclaré M. Beaupré-Lavallée. 

Lors d’une séance de questions et réponses, le député de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, Maxime Blanchette-Joncas, est intervenu. Il a noté qu’il faut des politiques gouvernementales qui permettent d’avoir une véritable équité en matière de recherche et de publication scientifique en français au Québec et dans le reste du Canada. 

Minorités linguistiques en perspective 

Vincent Larivière de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information, de l’Université de Montréal a rappelé aux participantes et participants que l’importance croissante de l’anglais dans le monde académique au Canada change l’équilibre linguistique qui est déjà fragile par ailleurs. 

Il a noté que « publier [en anglais] aujourd’hui c’est crucial pour une carrière professionnelle. » Mais les données de la plateforme Érudit que dirige M. Larivière démontrent que : « publier des articles en français sur une plateforme nationale, ça amène un impact international. » 

Les données démontrent que les incitatifs structurels qui amènent les chercheurs canadiens à publier en anglais dans les revues commerciales à l’international créent aussi de facto un mécanisme qui incite les chercheurs à arrêter de s’intéresser à ce que les revues anglophones veulent publier au pays, a-t-il déclaré. 

Penser l’avenir du travail académique en français 

Les participantes et participants ont discuté des leçons apprises lors des différentes tables rondes et présentations. Elles et ils ont ensuite proposé des solutions et revendications qui en découlent, telle la suivante :  la mise en place d’un mécanisme fédéral pour s’assurer que les universités francophones qui reçoivent du financement pour encourager la recherche francophone puissent avoir un mode de gouvernance transparent et responsable.