L'Association canadienne des professeures et professeurs d'université (ACPPU) est le porte-parole national de plus de 75 000 membres du personnel académique et professionnel des universités, collèges et écoles polytechniques du Canada. Nous défendons la liberté académique et travaillons activement dans l'intérêt public afin d'améliorer la qualité et l'accessibilité de l'enseignement postsecondaire au Canada. Nous remercions le Comité de nous donner l'occasion de contribuer à son étude sur l'impact des critères d’attribution du financement sur l'excellence en recherche.
La recherche revêt une immense valeur publique en répondant à des besoins sociaux, culturels et économiques. Elle doit être soutenue par des investissements publics solides, protégée de la politisation et évaluée de manière à respecter la liberté académique et la diversité des parcours de connaissances.
Le financement fédéral est un moteur essentiel de l'excellence de la recherche canadienne. Il soutient la science fondamentale, l'innovation appliquée, la collaboration interdisciplinaire et la recherche d'intérêt public. Malgré cela, les niveaux de financement ne répondent pas à la demande, et les taux de réussite de la plupart des programmes de subventions sont en baisse. Cela accroît la nécessité de garantir des processus d'attribution équitables, transparents et fondés sur l'expertise.
Importance de l'évaluation par les pairs
L'évaluation par les pairs est le fondement d'un financement de la recherche crédible et de haute qualité. Dans le cadre de ce mécanisme, des experts du milieu académique évaluent leurs travaux de recherche respectifs à la lumière de leur originalité, impact et respect des normes disciplinaires. L’évaluation par les pairs protège contre l’ingérence politique et garantit que le mérite scientifique guide l'excellence de la recherche. Lorsque les décisions de financement sont prises par des membres du milieu académique possédant l'expertise requise, et non par des membres de la classe politique, des bureaucrates ou des groupes d'intérêt, la liberté académique est protégée et l'intégrité de la recherche est préservée. L'évaluation par les pairs encourage une recherche rigoureuse, indépendante et parfois disruptive, qui est l'essence même du progrès scientifique.
Rôle essentiel de l'équité, de la diversité et de l'inclusion (ÉDI)
Les cadres d’action en matière d'équité jouent un rôle essentiel pour garantir un accès équitable et inclusif à l’ensemble des chercheuses et chercheurs. L'ACPPU soutient le renforcement de l'évaluation par les pairs en tandem avec la promotion de l'ÉDI, non pas à titre de concessions, mais à titre de garanties complémentaires d'excellence et d'équité.
La discrimination systémique entrave la bonne science et limite les progrès scientifiques. Lorsque les chercheuses et chercheurs sont confrontés à de la discrimination et à des obstacles qui les empêchent de participer pleinement à des activités scientifiques, toute la recherche en souffre, car leurs connaissances restent sous-utilisées et limitées.
Les organismes subventionnaires canadiens sont des chefs de file dans la promotion de l'excellence en recherche inclusive grâce à des programmes tels que les chaires de recherche du Canada (CRC). Cependant, contrairement aux concours ouverts, le programme des CRC commence par un processus de nomination interne par les établissements. Ce processus de nomination soulève des préoccupations relatives à la transparence et aux biais à l'égard des groupes ayant droit à l'équité.
À la suite d'une plainte déposée en 2003 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne — et soutenue par l'ACPPU —, un accord de règlement a obligé les établissements à établir des cibles d'équité basées sur le bassin disponible de candidatures qualifiées. Un addendum de 2019 a renforcé ces engagements, en collaboration avec toutes les parties, en les alignant sur les meilleures pratiques et l'évolution démographique du Canada afin de lutter contre la discrimination systémique.
Les détractrices et détracteurs ont qualifié à tort ces cadres de mécanismes « idéologiques » ou « basés sur des quotas ». En réalité, les établissements restent libres de nommer toute candidate ou tout candidat qui répond aux critères du programme sur la base de ses activités savantes. L'objectif de ces exigences est plutôt de garantir que les établissements n'excluent pas systématiquement d'excellentes chercheuses ou d’excellents chercheurs en raison de biais ou de discrimination. Il s'agit d'une obligation légale fondée sur le droit relatif aux droits de la personne. Le respect des droits de la personne n’équivaut pas à imposer une idéologie particulière au programme, et le présenter ainsi porte atteinte à l'état de droit et aux fondements moraux d'une société démocratique.
La diversité enrichit la recherche. Lorsque des chercheuses et des chercheurs issus de milieux différents, ayant un vécu et des perspectives variés, contribuent à la recherche, les questions posées sont plus larges, les méthodes plus inclusives et les résultats plus significatifs pour la société. L'ÉDI n'est pas un ajout « politique » : c'est un mécanisme visant à garantir l'excellence, et non à la diluer.
Au-delà des mesures de rendement
L'excellence en matière de recherche doit être comprise dans son sens le plus large. Les mesures traditionnelles telles que le nombre de publications ou les facteurs d'impact des revues ne reflètent pas toute la gamme des activités savantes ayant de la valeur. Les mesures de rendement peuvent désavantager de façon particulière les membres des groupes ayant droit à l'équité, les personnes qui publient ou diffusent des connaissances dans des langues autres que l'anglais, les personnes qui ont des parcours professionnels non traditionnels, et ceux et celles qui mènent des activités d'enseignement, de recherche, de création, de service, de pratique professionnelle et (ou) de recherche non conventionnelles.
L’ACPPU soutient la Déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche (DORA), qui exhorte les bailleurs de fonds à évaluer la recherche à la lumière de son contenu et de son impact, et non à la lumière de l'endroit où elle est publiée ou du nombre de fois où elle est citée. L'évaluation conforme à la DORA favorise l'innovation et l'équité en reconnaissant la valeur de différentes formes de production de connaissances.
Reconnaissance de la valeur de toutes les disciplines
La valeur accordée aux différentes formes de connaissances doit se refléter clairement dans la répartition des fonds fédéraux consacrés à la recherche. À l'heure actuelle, cette répartition reste très déséquilibrée : bien qu'elles comptent la majorité des chercheuses et des chercheurs canadiens, les sciences sociales et humaines (SSH) reçoivent systématiquement moins de 20 % du soutien fédéral à la recherche. Cette inégalité limite la capacité du pays à relever le spectre complet des défis sociétaux, de la gouvernance démocratique aux changements technologiques, en passant par la réconciliation avec les peuples autochtones l'adaptation au changement climatique, la santé publique, l'équité sociale et autres.
Des obstacles structurels propres au système de financement viennent aggraver ce déséquilibre. Le taux de réussite des subventions Savoir du CRSH, qui est d'environ 34 % en moyenne, reste modeste par rapport aux besoins, et de nombreuses propositions méritoires ne sont pas financées en raison de ressources limitées. Le problème n’a pas trait à la qualité des projets, mais au sous-investissement. L'augmentation et le rééquilibrage de l'enveloppe des trois conseils de façon à renforcer le CRSH, accompagnés d’une plus grande souplesse dans l'attribution des chaires de recherche du Canada par discipline, contribueraient à garantir que le financement fédéral reflète mieux l'étendue des recherches menées.
Recommandations
- Affirmer le rôle central de l'évaluation par les pairs dans l'attribution des fonds de recherche et veiller à ce que les processus indépendants, dirigés par des experts, soient maintenus et élargis.
- Conformément aux obligations en matière de droits de la personne, maintenir et renforcer les critères d'ÉDI dans tous les programmes de financement, en prévoyant des lignes directrices claires et un soutien pour assurer une mise à exécution uniforme.
- Mettre pleinement en œuvre les principes de la DORA.
- Répartir équitablement le financement de la recherche entre les disciplines.