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100 ans de lutte acharnée

100 ans de lutte acharnée

L.B. Foote / Winnipeg Free Press Archives

Cette année marque le 100e anniversaire de la « grève générale de Winnipeg ». Cet événement décisif dans l’histoire du mouvement syndical moderne au Canada est fixé dans la mémoire collective par des images fortes — des policiers à cheval tirant sur des foules rebelles, un tramway renversé, en flammes. Témoignages silencieux de l’agitation et de la violence d’une époque sans pitié, poussées à leur paroxysme le 21 juin 1919, ce « samedi sanglant » où deux grévistes trouvent la mort et des douzaines de personnes, dont des policiers, sont blessées.

Divers événements à Winnipeg commémoreront cet épisode tragique. Un monument représentant un tramway couché sur son flanc sera érigé à l’intersection de la rue Main et de l’avenue Market, l’épicentre des émeutes, à proximité du carrefour Portage et Main envahi en ce 21e siècle par un flux automobile incessant.

« Nous sommes très emballés, dit la présidente de l’association du personnel académique de l’Université du Manitoba (UMFA), Janet Morrill. L’UMFA est l’un des parrains des événements prévus par la Fédération des travailleurs du Manitoba et j’espère que nous y aurons une place importante. »

La plupart des gens seraient aujourd’hui choqués par la condition des travailleurs winnipégois en 1919. Janet Morrill est consciente que l’UMFA doit son accréditation, en 1974 par la Commission du travail du Manitoba, à cette grève révolutionnaire. Il y a cent ans, ce mouvement ouvrier imposait le salaire minimum obligatoire et ouvrait la voie à la syndicalisation des travailleurs, à l’amélioration des conditions d’emploi et des conditions sociales et, plus tard, à l’affirmation par la Cour suprême du Canada (CSC) du droit de grève comme un élément essentiel d’un processus véritable de négociation collective et protégé par la constitution canadienne.

Les membres de l’UMFA sont les descendants des effectifs académiques qui se sont associés au siècle dernier, mais qui, jusqu’en 1970, n’étaient pas syndiqués. Créée en 1951, l’ACPPU a assisté des membres dans des dossiers individuels portant souvent sur le refus de la permanence ou la violation de la liberté académique. Hormis l’ACPPU, le personnel académique avait peu de moyens de contester les décisions des administrateurs et pourtant, il hésitait à s’engager dans un collectivisme plus affirmé.

Dans les années 1960, le recul des salaires et des avantages sociaux des universitaires par rapport à d’autres travailleurs et l’affaiblissement de leurs droits professionnels ont balayé tout doute à l’égard de la syndicalisation.

« Avant leur transformation en syndicat, les associations négociaient quelques conditions d’emploi selon une approche informelle, qui tenait plus de la “mendicité collective” que de la véritable négociation collective, explique le direc­teur général de l’ACPPU, David Robinson. Les associations pouvaient participer à des consultations mais, la plupart du temps, les administrations dictaient les politiques institutionnelles. La bonification des salaires et des avantages sociaux dépendait totalement du bon vouloir du conseil d’administration. »

Vers la fin des années 1960, les universitaires ont commencé à débattre du pour et du contre de la syndicalisation, les opposants y voyant un affaiblissement de la collégialité, du professionnalisme et de l’autonomie. Mais le vent avait tourné et, en 1970, l’Association des Ingénieurs-Professeurs des Sciences Appliquées de l’Université de Sherbrooke devenait le premier syndicat de professeurs au Canada, suivi de bien d’autres dans les décennies ultérieures. Aujourd’hui, les universités et collèges publics au Canada emploient un personnel académique majoritairement syndiqué, d’où leur taux d’implantation syndicale parmi les plus élevés au pays.

Les retombées du mouvement syndical vont bien au-delà de la progression de la rémunération globale dans chaque établissement. En 1976, le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL) a déclenché la première grève d’enseignants au Canada et c’est à la suite de cette grève qu’en 1978, l’ACPPU a créé sa Caisse de défense. Quarante ans plus tard, la Caisse utilise ses quelque 25 millions de dollars pour soutenir les membres légalement en grève ou mis en lockout.

Le président du SPUL, John Kingma, renvoie à l’historique de l’accréditation du Syndicat, bien en vue sur son site web, et souligne que les syndicats ont été déterminants pour l’équilibre du pouvoir de négociation entre employeurs et employés.

« Les syndicats sont importants pour le personnel académique et ils ont assurément un rôle de plus en plus crucial dans la défense des intérêts de leurs membres, dit-il. Comme l’a dit un de nos anciens présidents, Gérald Lemieux, “les seuls droits qu’on a sont ceux que l’on revendique”. Et j’ajouterais, dans le contexte actuel, “et que l’on est prêt à défendre”. »

Janet Morrill pense également que la capacité des syndi­cats à montrer leur force a aussi de vastes répercussions sur le long terme. La force collective de l’UMFA a été mise à l’épreuve en 2016, lors d’une grève de trois semaines qui s’est soldée par un contrat d’un an et un gel des salaires. La Commission du travail du Manitoba a ultérieurement reconnu l’Université coupable d’une pratique déloyale de travail et de mauvaise foi parce qu’elle n’avait pas informé l’UMFA du mandat de gel salarial reçu secrètement du gouvernement provincial. Les membres ont obtenu des excuses et une compensation de plus de 2 millions de dollars.

« On éprouve maintenant un sentiment de pouvoir et on s’est aperçu qu’on peut constituer une force non négligeable, croit Janet Morrill. L’administration nous prend maintenant beaucoup plus au sérieux. La grève a produit un résultat sur le moment, mais nous en récoltons encore les fruits. Nous sommes conscients de nos avancées et de notre capacité à les reproduire, et cela modifie profondément notre relation avec les administrateurs. Cela nous donne du poids et j’irais même jusqu’à dire que sans un syndicat, on n’aurait aucun pouvoir. »

Le « poids » de la syndicalisation a été la clé de voûte de la victoire historique des 24 collèges publics de l’Ontario à l’issue d’une grève de cinq semaines ayant entraîné la fermeture des campus en 2017.

« Notre grève a braqué les projecteurs sur le modèle d’affaires néolibéral qui se propageait dans l’ensemble des universités et des collèges », affirme JP Hornick, coordonnatrice de la School of Labour du Collège George-Brown et présidente en 2017 de l’équipe de négociation du personnel scolaire des collèges ontariens représentée par le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO).

« L’emploi précaire peut être le moteur de la grève générale moderne. Nous luttions vraiment contre ce mal et notre grève était motivée par des enjeux fondamentaux du système : la précarité, la gouvernance et la liberté académique. Nous avons fait des gains immenses parce que nous ne jouissions pas de la liberté académique que les universitaires avaient et tiennent pour acquise, comme si elle faisait partie de la trousse d’outils pour bien fonctionner dans un milieu académique. »

« Les collèges avaient juré de ne jamais l’inscrire dans notre convention collective, mais ils ont échoué, conclut JP Hornick, en renvoyant à la décision arbitrale rendue après l’adoption d’une loi provinciale pour mettre fin à la grève. Nous avons obtenu la liberté académique et une plus grande sécurité d’emploi pour le personnel académique contractuel syndiqué. La grève a contribué à unifier notre secteur d’une manière qui a surpris l’employeur. Elle a fixé la norme. »

Le SEFPO a également contesté la constitutionnalité de la loi ordonnant le retour au travail, invoquant l’arrêt rendu en 2015 par la CSC dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan. Les juges majoritaires avaient alors affirmé que le droit de grève était protégé par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés et qu’il constituait un élément essentiel d’un processus véritable de négociation en permettant aux travailleurs de cesser le travail en cas d’impasse de la négociation.

En outre, la CSC a conclu que l’exercice du droit de grève est « une affirmation de la dignité et de l’autonomie personnelle des salariés pendant leur vie professionnelle ».

Selon Peter Barnacle, alors membre de l’équipe juridique représentant la SFL devant la CSC et aujourd’hui l’avocat principal de l’ACPPU, « la Cour a vu que le droit de grève favorise l’égalité dans le processus de négociation collective et que sa reconnaissance est conforme aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, le pays ayant signé des traités internationaux qui reconnaissent expressément ce droit ».

La décision de la CSC a eu des répercussions sur toutes les associations de personnel académique albertaines, car leurs membres étaient auparavant privés du droit de grève et devaient, pour régler les différends contractuels, se sou-mettre à une procédure d’arbitrage exécutoire aux termes de la loi.

La nouvelle loi provinciale adoptée en remplacement de la loi annulée par la CSC a étendu le droit de grève au personnel académique, aux étudiants de cycle supérieur et aux boursiers postdoctoraux.

Selon David Robinson, les syndicats sont aujourd’hui plus pertinents que jamais en raison de l’évolution constante du contexte juridique et social.

« Avant la syndicalisation, la liberté académique et la permanence de l’emploi étaient bien plus menacées. L’avènement de conventions collectives et d’un processus de règlement des griefs juridiquement contraignants a donné au personnel aca­démique des outils pour protéger les principes de l’application régulière de la loi et de la liberté académique contre les abus des administrations. Les syndicats se serviront encore de ces armes pour repousser les menaces futures. »

JP Hornick estime que les syndicats de personnel acadé­mi­que sont encore nécessaires, mais que l’heure est venue de réfléchir sérieusement à élargir le cadre des rôles et des actions pour composer avec un monde qui change rapidement.

« Il ne fait aucun doute que les syndicats sont encore nécessaires et nous devons reconnaître solidairement et sans réserve que les difficultés économiques de nombreux collègues ne découlent pas d’actions individuelles, mais de défaillances systémiques qui exigent une action collective, dit-elle. Notre mouvement syndical ne peut continuer d’avoir des œillères et de protéger uniquement nos membres, sinon les syndicats pourraient apparaître comme des véhicules moins intéressants ou évidents pour la défense des travailleurs. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins : il nous faut réapprendre à bâtir un mouvement populaire. C’est notre responsabilité. »

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