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Plaidoyer pour un droit d’auteur équitable

Plaidoyer pour un droit d’auteur équitable

iStock.com / DNY59

La monographie Pour sept générations : legs documentaire de la Commission royale sur les peuples autochtones a été remise en format CD-ROM aux bibliothèques de dépôt fédérales en 1997. Son contenu unique n’a jamais été consigné dans des publications imprimées ou sur microfiches. Coiffée du titre « legs documentaire », cette collection devrait être offerte au public en libre accès le plus possible. Pourtant, les règles du droit d’auteur l’en empêchent.

« Parce qu’il s’agit d’un CD propriétaire, les bibliothèques n’ont pu en transférer le contenu, même quand les disques se sont détériorés jusqu’à être de moins en moins lisibles », dit Carla Graebner, bibliothécaire aux services de données de recherche et d’informations gouvernementales à l’Université Simon Fraser et présidente du Comité des bibliothécaires et archivistes de l’ACPPU.

« Voici un document du gouvernement d’une importance capitale — c’est tout de même une Commission royale!, mais qui a été produit pour le gouvernement par une entreprise privée et qui utilise un logiciel de lecture également développé par cette entreprise. Le hic, c’est que celle-ci détient encore les droits de propriété intellectuelle », explique Mme Graebner.

Et même si l’Université de la Saskatchewan a fini par nu-mériser sa copie imprimée pour la diffuser en ligne, Carla Graebner ne peut cacher sa frustration à l’endroit des règles complexes qui déterminent encore la manière dont l’infor-mation peut circuler au Canada et ailleurs dans le monde, et à quel prix.

Carla n’est pas seule à penser de cette façon. En effet, la loi régissant le droit d’auteur joue un rôle déterminant dans le milieu académique, car elle encadre la création, l’utilisation et la propriété d’œuvres littéraires et artistiques.

Pendant de nombreuses années, la société de gestion des droits d’auteur Access Copyright, qui se présente comme la représentante de dizaines de milliers d’auteurs, d’artistes visuels et d’éditeurs canadiens ainsi que de leurs œuvres, a imposé des redevances aux universités et collèges du Canada en contrepartie du droit pour les enseignants et les étudiants de reproduire les œuvres protégées par le droit d’auteur.

Jusqu’à récemment, la Loi sur le droit d’auteur était plutôt à l’avantage des éditeurs et d’autres titulaires de droits. Vers la fin du 20e siècle et au début du 21e, les maisons d’édition de manuels scolaires privées, les propriétaires de revues et les cartels d’éditeurs ont progressivement fixé les prix de leurs produits et licences au-delà de la capacité de payer du public. Le personnel académique et les étudiants se sont alors engagés dans la création de revues publiées en libre accès gratuit sur Internet et de ressources éducatives libres.

De leur côté, les universités et les collèges du Canada se sont entendus avec les éditeurs sur des licences directes plus efficientes, de manière à évincer Access Copyright et à favoriser une utilisation judicieuse des maigres fonds publics affectés à l’éducation.

En 2004, la Cour suprême du Canada a statué qu’en vertu du principe de l’utilisation équitable, il était tout à fait légal de copier — sans paiement ni autorisation, aux fins de la recherche et de l’étude privée — une partie d’une œuvre, comme un article de revue ou le chapitre d’un livre. Ce droit a de nouveau été affirmé par le Parlement dans la Loi sur la modernisation du droit d’auteur adoptée en 2012 et dans une série de décisions rendues par la Cour suprême la même année.

Tandis que l’utilisation équitable est aujourd’hui un principe capital dans l’éducation, permettant aux professeurs, aux étudiants et aux chercheurs de partager et d’enrichir les connaissances, la Loi sur le droit d’auteur demeure un magma de dispositions dans lequel la communauté académique doit manœuvrer avec précaution.

Le gouvernement fédéral entreprend cette année l’examen quinquennal obligatoire de la Loi sur le droit d’auteur, et déjà, les éditeurs et Access Copyright exercent des pressions pour faire annuler les gains obtenus en 2012.

« La Loi sur la modernisation du droit d’auteur a établi un équilibre raisonnable entre les droits des créateurs et des utilisateurs, affirme le directeur général de l’ACPPU, David Robinson. Pendant l’examen de la Loi, nous devrons absolument protéger les acquis et nous pencher sur de nouveaux enjeux. »

La campagne de 2017 de l’ACPPU pour une utilisation équitable du droit d’auteur sera concentrée sur cinq enjeux : l’utilisation équitable, les peuples autochtones et le droit d’auteur, les serrures numériques, la durée du droit d’auteur et le droit d’auteur de la Couronne.

L’utilisation équitable

Le principe de l’utilisation équitable confère le droit, sous réserve de restrictions, de copier des œuvres littéraires et artistiques sans demander l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur les œuvres et sans lui verser des redevances. Cependant, Access Copyright a fait campagne énergiquement contre ce principe, lui attribuant faussement la responsabilité de la diminution des sources de revenus des éditeurs et prétendant à tort que le secteur de l’éducation postsecondaire refusait de payer pour utiliser des contenus.

En vérité, au Canada, les établissements d’enseignement postsecondaire continuent de verser chaque année des centaines de millions de dollars à des éditeurs et à des auteurs en contrepartie de l’accès aux œuvres. Les étudiants, eux, dépensent des millions de dollars par année pour acheter des livres et d’autres matériels. L’ACPPU recommande de maintenir le régime actuel de l’utilisation équitable.

Les peuples autochtones et le droit d’auteur

« Partout au Canada, il y a eu de nombreux cas où la loi sur la propriété intellectuelle a failli à servir les intérêts des peuples autochtones, quand elle ne les a pas carrément brimés », dit Paul Jones, l’agent de la formation de l’ACPPU. Il donne en exemple les aînés de la Première Nation malécite qui, dans les années 1970, se sont racontés à un chercheur universitaire. Comme ce dernier enregistrait lui-même les conversations, il a obtenu automatiquement les droits d’auteur sur les enregistrements sonores en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. « Cette règle sur la possession du droit d’auteur a eu des conséquences tragiques. Les aînés, qui souhaitaient seulement que leurs histoires soient publiées, se sont retrouvés embourbés dans une longue bataille juridique sur l’utilisation des enregistrements. Ils étaient tous morts au moment de la publication de leurs récits et la plupart de leurs enfants aussi », rappelle Paul Jones.

Il existe une opposition fondamentale entre la notion occidentale de propriété intellectuelle et la compréhension qu’ont les Autochtones de l’origine et de l’utilisation des œuvres de création et du contrôle sur elles. L’ACPPU milite pour la reconnaissance du lien unique entre les communautés autochtones et leurs œuvres de création. Le Canada, en consultation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis, devrait affecter des ressources à l’exploration et à l’établissement de cadres juridiques particuliers pour protéger ces œuvres.

Les serrures numériques

Les technologies numériques permettent de copier et de diffuser l’information instantanément et cette évolution s’est avérée positive pour la recherche, les communications savantes et l’enseignement. Par contre, elles ont aussi facilité le piratage des œuvres numériques à des fins commerciales. Des propriétaires ont défendu leurs contenus en prenant des mesures techniques de protection (MTP). Comme il est possible de contourner les MTP, des titulaires du droit d’auteur ont insisté pour que des lois interdisant de briser les serrures numériques soient adoptées.

Malheureusement, les serrures numériques sont de véritables barrières à l’utilisation équitable, à la préservation des archives et aux prêts par les bibliothèques. Parce que la Loi sur le droit d’auteur interdit de manière quasi absolue de contourner les serrures numériques, elle empêche aussi de désactiver, pour des motifs légitimes, les MTP qui violent le droit à la vie privée des utilisateurs et bloquent la correction de « mots-clés » d’identification numérique erronés qui sont associés à une œuvre. L’ACPPU demande que la Loi soit modifiée pour autoriser l’utilisation, la fabrication ou l’importation de dispositifs de contournement des MTP à des fins ne constituant pas une infraction au droit à la vie privée.

La durée du droit d’auteur

Au Canada, le droit d’auteur est généralement valide pendant toute la vie du créateur de l’œuvre et les 50 ans qui suivent sa mort. Les États-Unis et les pays européens ont prolongé la période de validité générale du droit d’auteur; elle correspond maintenant à la vie de l’auteur et aux 70 ans qui suivent sa mort. Le Canada subit de plus en plus de pressions pour les imiter.

Cependant, la prolongation de la durée du droit d’auteur ne sert pas l’intérêt public; elle permet plutôt aux grands titulaires de droits d’auteur commerciaux de maximiser leurs profits. L’ACPPU recommande de maintenir la durée générale de la protection accordée par le droit d’auteur au Canada à la formule des 50 ans qui suivent la mort.

Le droit d’auteur de la Couronne

L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur énonce qu’une œuvre préparée ou publiée par l’entremise ou sous la direction ou la surveillance du gouvernement fédéral demeure protégée par le droit d’auteur de la Couronne jusqu’à la fin de la 50e année civile suivant celle de sa première publication.

L’utilisation par les Canadiens des œuvres produites par le gouvernement s’en trouve diminuée. De plus, les interprétations des modalités d’utilisation des œuvres protégées par un droit d’auteur de la Couronne sont variables; il en résulte que l’accès du public aux œuvres du gouvernement est restreint et que les bibliothèques doivent retarder ou annuler des projets visant à préserver et à diffuser des documents archivés. Vu que l’accès à l’information gouvernementale, et la capacité de diffuser et d’encourager son utilisation répétée, sont fondamentaux dans une société démocratique — et que le public a déjà payé pour les œuvres produites, l’ACPPU se prononce pour l’abolition du droit d’auteur de la Couronne.

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